A l’avant-garde des ruines, Christophe Bregaint
A l’avant-garde des ruines, éd. du Pont de l’Europe, avril 2017, 66 pages, 10 €
Ecrivain(s): Christophe Bregaint
En forme d’exergue à son dernier recueil, Christophe Bregaint, comme pour annoncer sa démarche, reprend son titre en majuscules agressives écrites au feutre noir. « Aride » est, en effet, l’adjectif qu’il choisit pour incipit et qui aura pour écho le dernier mot du livre : « décousu ». Reste à apprendre en lisant celui-ci de quelles « ruines » il s’agit dans le mouvement d’un corps et d’une pensée en marche dès les premiers textes : « Ces évidences / Fuient / L’esprit / Pour / d’autres / Routes où / Se tiennent / Les entrailles / de l’obscurité / / Au garde- à-vous ». Alors suit, dans ce cheminement, hasardeux, la mise en place d’un champ lexical mortifère qui n’empêche pas la recherche d’une identité, voire d’une renaissance.
Le rythme des vers brefs mime parfaitement le cahotement de la route où l’on finit « Par émacier l’horizon ». Cette expression qui, comme d’autres, concrétise l’idée tout en provoquant la surprise est révélatrice de la sensibilité de l’auteur qui reprend à son compte à la fois la dure réalité de l’existence et le poids de la destinée humaine. Ainsi peut-on lire plus loin : « Tout le poids / Des ombres / / Au-dessus / De la fosse / Aux croyances ».
Aucune partie ne divise le texte car il ne s’agit pas d’interrompre sa lecture comme le marcheur son voyage « A la rencontre / De l’avant-garde / Des ruines ». Celui-ci avance en « fantôme » et sans racines dans un espace déséquilibré et s’il y a un espoir, il ne peut qu’être fou.
Le pessimisme s’exprime dans un crescendo que ne consolent ni « Un vol d’oiseaux » ni « Le parfum singulier / D’un demain » car il y a encore « Cette lumière noire », reflet des paradoxes de la vie, dans le doute et l’attente anxieuse. Chaque pas correspond en effet à une fuite obscure et lutte, en un nécessaire mouvement, avec la haine et la double question troublante du lieu et du non-lieu.
Des mot isolés claquent dans l’urgence d’un désir d’espoir : « Ivresse », « Eternité », et interrompent des prises à bras-le-corps avec la machine qui broie ou « Avec la grande / Morbide ». Mais suffiront-ils à réduire, voire à effacer l’expression de la précarité des choses et de la violence du monde quand « L’inconnu » menace encore ? Une rhétorique du questionnement s’était déjà mise en place dans le recueil Route de nuit où le poète formulait cette belle et émouvante interrogation : « Retrouverons-nous le chant d’un possible ? ».
A la fin du livre, l’écriture se trouve inhibée par le constat d’une terre hostile et jumelle de l’enfer : « Tes paroles / S’enrayent /jusqu’à assourdir / Les archives / Du verbe » quand l’affirmation oxymorique du fait que le chaos est « fertile » semble fermer une porte à la peur.
Mais les dernières pages contredisent cette impression et réaffirment douloureusement cette poétique de l’absurde finitude propre au texte : « Vos vies / seront Toujours / Colonisées par / La mort ».
Il reste à souhaiter pour le lecteur de Christophe Bregaint que son prochain opus mène sur un chemin aussi bien décrit mais peut-être moins abrupt.
France Burghelle Rey
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