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A Gambo, Louis-François Delisse

Ecrit par Matthieu Gosztola 10.04.14 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Ecrivain(s): Louis-François Delisse

A Gambo, Louis-François Delisse

 

Louis-François Delisse, À Gambo, enterrée au cimetière de Thiais depuis le 3 janvier 2011, avec quatre stèles de Jean-Pierre Paraggio, Collection de l’umbo, Série Passage du Sud-Ouest, février 2013, 8 € (port compris)

(commande et toute correspondance : Jean-Pierre Paraggio 23 rue des Princes 31500 Toulouse ; jeanpierreparaggio@yahoo.fr)

 

En ce court livre, Louis-François Delisse se souvient de son épouse.

Il se souvient de celle qui, n’étant plus, est tout : il se souvient de celle qui se confond – superbement – avec la totalité du monde…

Le soleil s’est levé

à l’ouest, la lune est

un caillou dans ta bouche.

 

… maintenant qu’elle n’est plus et que son absence devient criante à chaque carrefour du visible, dans chaque parfum, goût…, dans toutes ces choses qu’il n’est plus possible de partager avec elle. Dans toutes les choses.

 

Et Delisse fait plus que se souvenir.

Il adresse à Gambo la vie. Sa vie.

Par de courts poèmes.

Il lui adresse sa vie, c’est-à-dire son amour pour elle, qui le fait à chaque instant, ne fût-ce que dans la pensée qu’il a d’elle et qui les réunit tous deux, vivre de la vie la plus vivante qui soit (malgré la maladie), – il lui adresse sa vie pour qu’à nouveau elle puisse vivre.

Par l’attention du lecteur. Du lecteur qui fait corps avec le poème qu’il découvre et auquel il suspend immédiatement son imaginaire, du fait de la singularité (faite d’oniriques précisions) des images employées.

 

Deux mois sous une terre

où rien n’a poussé. Qu’

a-t-elle vu, la morte, de ces

forsythias en fleur là-bas ?

Dans ta tombe courent

encore des chevaux, de

longues vaches dormantes.

Des enfants jouent à mou-

rir ou à s’épouser.

 

Et jamais il ne s’agit pour le poète de s’apitoyer sur son sort. Il sculpte son désespoir comme une pièce de bois pour en faire un alto – c’est exactement ce timbre qu’il recherche. Et la musique – façon qu’ont les vibrations de l’instrument de nous parvenir, d’assouvir une attente qui ne préexiste pas à notre écoute – sanctifie la vie vivante. Incessamment.

 

J’ai tendu ma chair

sur deux bouts de

cercueil. Anges morts

ou vifs, venez sur

ce fil danser ma peine.

 

Les « stèles numériques » de Jean-Pierre Paraggio, réalisées sur un « herbier anonyme », disent à la fois la disparition, et ce qui vient la contrer : l’efflorescence du rêve et de la tendresse continuée, recommencée, malgré l’absence que rien jamais ne pourra venir abolir, ou même, le temps d’un souffle, contredire.

Toutes en mouvements immobiles et audacieux, ces stèles accolent à l’instant, dans son volettement, le pas de l’éternité.

 

Matthieu Gosztola


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A propos de l'écrivain

Louis-François Delisse

 

Louis-François Delisse est né le 11 juin 1931 à Gibraltar, à la frontière franco-belge. Enfance, puis adolescence studieuse et rimbaldienne à Roubaix, qu’il fuit souvent (« Roubec » dit-il) pour la campagne des Flandres et de Picardie, la mer du Nord, les bouquinistes de Saint-Germain et le Paris noctambule avec son cousin, le peintre Jacques Dodin. En 1949, à dix-huit ans, l’un de ses poèmes est exposé au Salon de la Coupole à Paris, par Vincent Muselli, avec d’autres de ses aînés comme René Guy Cadou. En 1954, il part pour le Niger (Niamey puis Zinder), où il enseignera jusqu’en 1975. Sa poésie – qu’il définit alors comme « son œuvre noire » – s’y révèle vraiment. Celle qu’éditera Guy Lévis Mano (GLM) : Soleil total (1960) puis l’anthologique Vœu de la rose (1961), avant de tomber malade dès 1965. Avant son retour définitif et contraint en France, Louis-François Delisse se rend dans les pays voisins du Niger, voyage en Andalousie, avec quelques retours en Alsace et à Paris, pour saluer GLM, rue Huygens, et y faire provision de recueils de poètes étrangers. Louis-François Delisse sera redécouvert plus de vingt ans plus tard, dans les années 90, grâce à plusieurs éditeurs, qui poursuivent l’édition de ses Œuvres complètes, inédits d’Afrique, mais aussi Le Logis des Gémeaux, autres poésies d’avant et d’après le Niger, son « livre blanc ». Louis-François Delisse a publié plus d’une cinquantaine de livres. De son œuvre, René Char écrivit : « elle nous consolera de tant d’êtres et de choses en ces temps loqueteux » (Source : Poezibao).

 

A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com