A-Eden, Jean Maison (par Didier Ayres)
A-Eden, Jean Maison, éditions Ad Solem, décembre 2018, 104 pages, 10,90 €
Poésie agreste
Je n’ai pas toujours l’occasion de chroniquer les livres de Jean Maison, poète que je connais depuis de longues années et vers lequel parfois mes pas me conduisent en Corrèze où il vit et travaille. Mais je sais le plaisir renouvelé de lire sa poésie intense, forte, ramassée et pourtant nue. Et du reste, la nudité compte ici beaucoup pour ces textes qui font un livre un peu étrange, dans lequel la page de gauche (qui est sujette dans des éditions bilingues à accueillir le texte dans sa langue originale) est blanche, comme si les poèmes de la page de droite étaient une traduction à partir du vide, du néant et de la nudité de la vie intérieure. Peut-être est-ce là une traduction du poète depuis la luminosité spirituelle, prière dite à voix basse et qui s’adosse à une foi intégrale et silencieuse ?
J’ai donc vu là un essai d’approfondissement vers l’immobilité, une quête de l’originel (de la première lettre de l’alphabet ?) – dont l’absolu de la page blanche est la limite – une recherche du plus ancien, au sens de la création édénique, en tout cas, une vision essentielle pour Jean Maison. Et comme l’indiquent clairement les courtes strophes du recueil, qui baignent dans la blancheur, on voit nettement que cette recherche est celle du peu, de la petite chose, de la simple lumière d’une bougie par exemple, qui suffit à tracer un cône régulier lumineux où le poète peut se réfugier, refuge pour lui et sa littérature. Une chandelle donc comme un cierge, éclairage sobre, vie des feux, qui illumine sourdement sans doute la petite église de St-Augustin où Jean Maison réside.
Cette visée quintessentielle trouve place dans un milieu rural, naturel, celui d’un petit village corrézien qui semble par la passivité de ses maisons de pierre grise, vêtues si je puis dire d’ardoise d’Allassac, de placettes et de chemins herbeux comme on les connaît si bien en Limousin, se placer devant quelque chose d’éternel, d’originel, comme la page de gauche, sa lactescence presque inquiétante qui signifie la pensée, de l’auteur, en marche.
Par la fenêtre ouverte
Une ondée
Encrée de magenta
Imprime le linge
Tu hésites
Depuis l’ablution
Incliné à l’appel
De ce qui adviendra
Le poète demeure dans un monde agreste, et cela par goût d’une essence qui ne supporte pas les contingences. C’est pour dire l’importance de chaque signe, de chaque tentative pour saisir l’aigrette miraculeuse du vers, puis de la strophe et enfin peut-être, après des silences, du labeur et du repos.
Le jardin cède
À la sobriété du verger
Il neige sur les fruits rouges de l’églantier
Sur le fardier
Près du feu
À l’heure de la visite
Le linge froissé flotte
Sur un traversin d’herbes sèches
Donc le poème est comme ce fil de coton rouge que l’on cousait il y a peu encore, sur les effets d’un écolier, pour accompagner son linge à l’internat, ce qui ici signifierait la trace continuelle de l’inquiétude de l’activité de la pensée, qui dessine une trace de feu sur l’esprit du poète, une espèce de feu grégeois paradoxal et beau. Souffrir cet enfermement, cette claustration est d’ordre spirituel, pour qui peut se nourrir certes de langage, mais aussi d’images plastiques, par exemple des images du monde végétal – ce qui évite au poète d’agir comme un iconoclaste. Images donc et aussi amour, amour presque physique avec l’idée de l’Aimée, cette extension merveilleuse qui poursuit la grande tradition du Cantique.
Didier Ayres
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