76 Clochards célestes ou presque, Thomas Vinau
76 Clochards célestes ou presque, mai 2016, 160 pages, 15 €
Ecrivain(s): Thomas Vinau Edition: Le Castor Astral
« Charles Bukowski : Le vieux Buk est né en 1920 et il était déjà vieux. Le vieux Buk est mort en 1994 flétri comme un bébé juteux. Le vieux Buk est le fils unique de l’Amérique »
« Albert Cossery : Albert Cossery pratique la paresse (tout comme Perros) comme un art martial. Celui de la contemplation séditieuse »
« Michel Simon : Accusé d’être juif pendant l’Occupation, d’être collabo à la Libération, d’être agent soviétique ensuite. Une tête à se prendre des gnons. Il est le poupon tordu qui fait tapiner la tendresse »
L’art de l’esquisse et du portrait éclate à chaque ligne des 76 Clochards célestes ou presque. Chaque mot y est pesé. Chaque miniature brossée avec finesse et justesse, les mots dévoilent, les phrases soulignent, éclairent ces croquis savants et savoureux. C’est l’art bref du regard porté sur Antoine d’Agata, Nicolas Bouvier – Il se sert de ses chaussures pour écrire. La rosée est son encre –, et Blaise Cendrars, Billie Holiday, et Georges Perros – Notes et poèmes, petites choses de rien, aiguisés et pointus, ses mots sont tout ce qui résiste au toc et à l’insignifiance (c’est aussi ce qui pourrait être écrit à propos de Thomas Vinau), ou encore Elliot Smith et Lester Young.
« Pierre Autin-Grenier : Cher monsieur Autin-Grenier, vous faites partie de ceux qui m’ont donné envie d’écrire, donc de voir, donc d’apprendre, donc d’en rire, donc de vivre »
« Chet Baker : Chet Baker aimait le “prez” Lester Young, les grosses voitures américaines, les femmes de tous les pays et les chansons d’amour »
« Kobayashi Issa : Connaît le froid et la faim. Une existence de sandales et de crâne rasé. Une vie de timbale à manger les plantes des fossés »
Ces clochards célestes qui peuplent l’univers et l’imaginaire de Thomas Vinau, sont écrivains, poètes, aventuriers, buveurs, vagabonds, musiciens. Ils sont, ou se donnent des allures de mauvais garçons, ils titubent, certains boivent beaucoup, d’autres se murent dans de vertigineux silences. Ils sont connus ou ignorés, beaucoup ont déposé les armes, d’autres sans avoir l’âge de raison, donnent parfois de leurs nouvelles, dont l’auteur fait son miel. Ils vivent au bord de la littérature, comme l’on vit au-dessous d’un volcan, au raz de la poésie. Ils font souvent un pas de côté, esquissent une danse, inventent une chanson mélancolique, se moquent du présent, comme de l’avenir. Ils vivent l’instant, même s’il ne leur fait pas de cadeau. Ces clochards éclopés cultivent pour certains l’art de la chute, ils dérivent, délirent, doutent, slaloment entre mille écueils, se laissent parfois submerger, coulent et d’un ultime coup de rein revoient le ciel. Ils n’en tirent aucune gloire, la seule dont ils peuvent se prévaloir, c’est le style, ce passeport littéraire et musical. Un style porté par Thomas Vinau, un autre styliste.
« Mario Rigoni Stern : Mario Rigoni Stern est la goutte glacée qui capture la lumière au bout des serres d’un rapace »
« Jules Renard : Le ciel lui aura enseigné à nuancer ses grisailles »
« Elsa von Freytag-Loringhoven : La baronne est naturellement dada. La baronne est toujours ce qu’il y a de plus dada. Elle devient leur égérie internationale »
Thomas Vinau, en styliste amusé, brosse en quelques phrases courtes et musclées ces portraits de joyeux décalés, de « déjantés » cocasses, de clowns désespérés, d’éphémères écrivains à la plume d’argile. Pour qu’ils soient provisoirement complets, il conviendrait d’y ajouter le portrait de l’auteur, Thomas Vinau : Connu dans le Luberon pour escapades dans la forêt des Cèdres, dont il ramène toujours quelques petits contes à dormir debout. Surnommé le furet des lettres, s’il est passé par ici, il repassera par là, et par la case talent. Apprécié pour son caractère joueur et curieux, il est désormais barbu comme le capitaine Haddock et tout aussi piquant. Il a toujours un ou deux livres d’avance sur son lecteur le plus scrupuleux.
Philippe Chauché
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