6 Moments Musicaux, Hoffmann et al.
6 Moments Musicaux, Hoffmann et al., janvier 2016, 240 pages, 7,10 €
Edition: Folio (Gallimard)
Tout l’art de l’anthologie réside en deux points essentiels : choisir un thème probant et choisir les œuvres idéales pour aborder ce thème, ou du moins les bons extraits. A ce compte, les 6 Moments Musicaux proposés par Sylvain Ledda dans la collection FolioPlus Classiques remportent pour l’essentiel les suffrages du lecteur.
La thématique est plus qu’intéressante : l’écriture de la musique, en particulier par les auteurs romantiques, représentés par cinq d’entre eux : Hoffmann, Janin, Balzac, Berlioz et Sand. Cela donne des pages oscillant entre le fantastique (la nouvelle signée Hoffmann, Le Chevalier Gluck, est exemplaire à ce titre, ainsi que celle signée Sand, bien qu’elle soit tardive – 1873) et l’émerveillement, ainsi que des tentatives éblouissantes de mettre la musique en mots – avant tout dans la nouvelle qui sert de pièce de résistance à cette anthologie, Gambara (1837) d’Honoré de Balzac, où l’auteur rend au passage hommage au génie de Beethoven.
Cela donne aussi, comme on peut s’y attendre, des considérations sur l’artiste en tant qu’être supérieur, nécessairement incompris de ses contemporains. On retrouve ce trait chez Balzac, Gambaraétant le pendant musical du Chef-d’œuvre Inconnu, cette nouvelle qui en dit tant sur la peinture et ses exigences, mais aussi chez Hoffmann montrant Gluck en artiste habité : « Ses modulations étaient surtout frappantes, et il savait rattacher à tant de variations brillantes le motif principal, qu’il semblait sans cesse rajeunir et paraître sous une forme nouvelle. Son visage était incandescent ; tantôt ses sourcils se rejoignaient, et une fureur longtemps contenue semblait sur le point d’éclater ; tantôt ses yeux, remplis de larmes, exprimaient une douleur profonde. Quelquefois, tandis que ses deux mains travaillaient d’ingénieuses variations, il chantait le thème avec une agréable voix de ténor ; puis, il savait imiter d’une façon toute particulière, avec sa voix, le bruit sourd du roulement des timbales ».
A ces considérations éminemment romantiques, s’ajoute la nécessaire addition du malheur au talent ; dans la nouvelle Hoffmann et Paganini, de Janin, l’auteur fait ainsi dire au premier : « Que veux-tu donc que j’invente avec ces joues rebondies et ce nez rubicond, ces cheveux épais, ce lourd sommeil, cette vaste poitrine et cet estomac d’autruche ? On n’est qu’un pleutre quand on a tant de cheveux… Ah ! mon cher, le malheur m’a manqué pour être un génie » (dans cette nouvelle, on admirera aussi la description du jeu de Paganini, remarquable.) En ce sens, cette brève anthologie peut servir à l’abord du romantisme en tant que période artistiquement révolutionnaire et en tant que célébration de l’individu face à la masse.
D’un autre côté, et comme pour ne pas céder au cliché du romantisme le plus sombre, l’anthologiste a aussi sélectionné une nouvelle signée Berlioz, Le Harpiste Ambulant, qui est une réjouissante charge contre la médiocrité, où l’auteur règle ses comptes avec une France qui n’a pas toujours su accueillir son art comme il se devait : « Ni à Paris ni dans les provinces, le public n’aime assez la musique pour braver, dans le seul but d’en entendre, la chaleur, la pluie, la neige, pour retarder ou avancer de quelques minutes l’heure de ses repas ; il ne va à l’Opéra ni au concert que s’il peut s’y rendre sans peine, sans dérangement quelconque, sans trop de dépense, bien entendu, et s’il n’a absolument rien de mieux à faire. On ne trouverait pas un individu sur mille, j’en ai la ferme conviction, qui consentît à aller entendre le plus étonnant virtuose, le chef-d’œuvre le plus rare, s’il était obligé de l’écouter seuldans une salle non éclairée ». On découvre ainsi un compositeur à la plume alerte, et on a la furieuse envie de lire ses Soirées de l’Orchestre (1852).
De surcroît, l’anthologiste propose un paratexte plutôt éclairant, associant réflexion théorique, pistes de lecture (et pistes pédagogiques) et analyse historique précise montrant la circulation existant entre les deux arts, la littérature et la musique, durant la période romantique. Cet aperçu historique fait la part belle aux salons et au système médiatique alors balbutiant mais déjà influent. De même, des rapprochements plus qu’intéressants sont faits, évoquant tant Senancour et sa définition du romantisme (C’est dans les sons que la nature a placé la plus forte expression du caractère romantique : et c’est surtout au sens de l’ouïe que l’on peut rendre sensible, en peu de traits et d’une manière énergique, les lieux et les choses extraordinaires) que le mythe d’Orphée, tout en faisant une large place à un choix de textes de Musset. Mais la partie la plus intéressante, car la moins connue, est celle où Ledda développe les rapports entre les auteurs et la presse musicale de l’époque, lieu de première parution d’un bon nombre de nouvelles ayant pour sujet la musique.
Finalement, à cette brève anthologie, on peut trouver un seul véritable défaut : avoir préféré les pastiches hoffmanniens de Janin, éminent critique du XIXe siècle aujourd’hui tombé dans un oubli dont la lecture des deux nouvelles choisies par Ledda ne donne guère envie de le tirer tant elles semblent juste accumuler les traits caractéristiques de l’époque sans génie particulier – on est bien loin d’un Balzac ou même d’un Berlioz, par exemple. Au sujet de ce dernier, on peut ajouter une ultime qualité à accorder à une anthologie : donner envie d’aller voir plus loin dans l’œuvre d’un artiste – puisque c’est le cas ici, on pardonne aisément la maladresse de choix qu’est Janin, et on s’en va découvrir Berlioz écrivain.
Didier Smal
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