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3 livres de Wajdi Mouawad, éditions Léméac / Actes-Sud Papiers 

Ecrit par Zoe Tisset le 23.06.16 dans La Une CED, Les Chroniques

3 livres de Wajdi Mouawad, éditions Léméac / Actes-Sud Papiers 

 

Une chienne, mars 2016, 43 pages, 11,50 €

Inflammation du verbe vivre, avril 2016, 59 pages, 12 €

Les Larmes d’Œdipe, avril 2016, 41 pages, 11,50 €

 

Wajdi Mouawad revisite le personnage de Phèdre, ce n’était pas vraiment un projet prémédité. Cette œuvre est née au détour et au fil d’une amitié avec le metteur en scène Krzysztof Warlikowski : « il y a un lien invisible entre son instinct et l’endroit d’où j’écris », remarque Mouawad. Il s’agissait au commencement des textes de quatre auteurs qui ont écrit autour de Phèdre : Euripide, Sénèque, Sarah Kane et J.M. Coetzee. Warlikowski désirait que Mouawad revoit la traduction à partir du grec et du latin. Leurs échanges ont eu lieu par SMS pendant un an. Au final, Euripide et Sénèque seront abandonnés et Mouawad fera de Phèdre une levantine, une chienne.

Livre écrit après les attentats de Charlie hebdo : « c’était retrouver les lieux des massacres de mes guerres et de mes exils puisque tel fut aussi le destin du peuple de Phèdre, après que Thésée eut décimé la cité de Minos ». Ecriture résolument moderne qui rend compte des malaises de notre société, ainsi parle Aphrodite : « Cela me rend pareil aux adolescents lugubres que l’on voit marcher dans le soir des grandes villes. Des chiens les accompagnent. Ce sont des anorexiques de leur temps. Ils refusent de manger dans la gamelle de cette liberté organisée que la cité leur offre au rabais ».

Inflammation du verbe vivre et Les larmes d’Œdipe ont été écrits alors que l’ami et traducteur Robert Davreu, décédé en novembre 2013, ne pouvait plus continuer les traductions de Philoctète et Œdipe à Colone qui faisait suite au travail amorcé sur l’œuvre de Sophocle avec Des femmes en 2011 (Les Trachiniennes, Antigone, Electre) et Des héros en 2013 (Ajax, Œdipe roi). Impossible d’engager un autre traducteur. Il s’ensuit pour l’auteur une période douloureuse qui l’amène à voyager en Grèce entre octobre 2014 et avril 2015, saison de pleine crise économique et politique pour la Grèce. « Comme toujours, la création parvient à faire des situations impossibles des lieux de guérison. Et de ce qui n’était pas possible nous avons fait notre matière », remarque Mouawad dans son introduction aux Larmes d’Œdipe.


Ce qui est captivant dans ces trois livres, ce n’est pas seulement l’écriture elle-même, mais les conditions de son surgissement. Elle est à la fois le résultat et le procédé insaisissable d’une peau qui mue ; mouvement incompressible d’une vie créative, volonté de puissance que rien n’arrête malgré les malheurs et la souffrance. « Preuve que je n’ai pas su lire et comprendre suffisamment Sophocle, lui qui affirme à chaque page combien la démesure engendre le malheur, mais que de ce malheur, pour les grecs, à l’instar d’Œdipe, il y a un instant de fulgurante lumière lorsque après les peines et les chagrins, quelque chose s’estompe, une tension, une inflammation qui n’a plus lieu d’être ».

En mettant en scène Sophocle, Mouawad voulait prendre une distance avec l’écriture théâtrale, mais les fissures et les craquements de la vie l’ont ramené à l’infini de l’écriture. Il faut peut-être se perdre pour se trouver et « s’originer ». Wahid, son double dans Inflammation du verbe, affirme : « Qui sans se dépasser, peut retrouver ce qui lui manque ? » Wahid, suicidé, fait un ultime voyage en Grèce à la recherche d’une flamme, d’un sens, il y croise un passé, un présent et peut-être un chemin. « Ecoute, entends, toi, homme qui n’est plus ni du monde d’en haut ni du monde d’en bas (…) ici est le trou des déjections inconsolées, des hommes, des animaux, des bêtes qui continuent, écorchés, à crier, à hurler. Prends-les en toi, ils sont là, ils sont là, ils sont à toi (…) écoute, homme ni en haut ni en bas, porte en toi l’interstice du temps, et sauve-nous ».

Cette écriture n’est pas nombriliste, Œdipe en route vers son destin croise celui d’Alexandros Gregoropoulos, quinze ans, mort lors d’une altercation avec la police grecque, pendant les manifestations. « Ce jeune homme qui meurt, ou est-ce la fille qu’il aurait eue si la mort ne l’avait pas injustement frappé ? Alors, en cette nuit terrible, soyons, quant à toi, lui plus tard, et quant à moi, cette fille, la sienne, qui jamais ne naîtra (…) » dit Antigone. Wajdi Mouawad nous rappelle à notre devoir d’adulte et fustige notre attitude face aux adolescents, à travers notamment l’histoire de Philoctète. Ulysse manipule Néoptolème (celui-ci ne trahira pas cependant, ce qui fait de lui un héros) pour séduire Philoctète et récupérer l’arc sacré. « Le monde des adultes se sert des adolescents pour parvenir à ses fins. C’est une histoire ancienne. Polonius force sa fille Ophélie à trahir ses convictions parce que le roi veut espionner Hamlet. Obi-wan Kenobi force Anakin Skywalker à trahir ses convictions parce que le conseil Jedi veut espionner l’Empereur (…). Et aujourd’hui, le suicide est la première cause de mortalité chez les adolescents européens ».

Au bout du chemin que peut-il y avoir, sinon un crayon : « Ramener à la vie sa vie ensevelie. Au bout du crayon, porter la parole des morts. Fauve à soi-même. Qu’importe le sang du Zèbre ! Vivre ! Pleuvoir ! Pleuvoir ! (…) Vivre et écrire et retrouver la prononciation exacte de son propre prénom dans sa propre bouche ».

 

Zoé Tisset

 

Né en 1968, metteur en scène et comédien, Wajdi Mouawad a passé son enfance au Liban, son adolescence en France et ses années de jeune adulte au Québec avant de vivre aujourd’hui en France. Il a été directeur de plusieurs théâtres en France et au Québec. Il propose le quatuor Le Sang des Promesses, à Avignon, en 2009. En 2011, il devient artiste associé au Grand T Nantes. Il se consacre ensuite à porter au plateau les sept tragédies de Sophocle traduites par Robert Davreu. Il est aujourd’hui directeur du Théâtre National de la Colline à Paris.

 

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A propos du rédacteur

Zoe Tisset

Rédactrice régulière.