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2025, le protocole de glace, Christian Lestavel

Ecrit par Mélanie Talcott 20.06.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

2025, le protocole de glace, Autoédition, en vente format papier et numérique sur Amazon

Ecrivain(s): Christian Lestavel

2025, le protocole de glace, Christian Lestavel

Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté,

qu’il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers,

qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas seulement perdu sa liberté, mais bien gagné sa servitude

La Boétie (1576)

 

Flippant de chez flippant ! A tel point que plusieurs fois j’ai suspendu ma lecture de 2025, le protocole de glace, fiction politique ancrée dans une sombre et plausible réalité, de Christian Lestavel. Dès le prologue, nous voilà mis au parfum nauséabond de nos lâchetés : « à chaque changement de siècle, nous pensons bâtir un nouveau monde, spirituel, philosophique, politique, territorial, océanique, industriel, spatial, numérique, alors que nous laissons derrière nous la mémoire du siècle précédent. L’Histoire ne nous sert à rien. Même notre Démocratie n’est qu’un pet ridicule, une misérable étincelle dans l’Univers infini qui nous entoure ».

Moins d’une décennie après ces dernières élections présidentielles françaises de 2017, à quoi ressemble notre monde ? A rien ou si peu… Le réchauffement climatique n’a toujours pas eu raison de l’humanité, mais les êtres humains, eux si, ont eu raison de leur humanité. Le chaos fliqué règne. Marine le Pen gère les destinées de la France depuis 2022. La même année Donald Trump a été débouté et remplacé par Michèle Obama, et le Pape François est un vieillard reclus. L’extrême-droite incarnée par les mêmes politiciens qu’actuellement règne sur l’Europe et sa présidence, prise militairement en main par Marine Le Pen, cooptée en cela par tous les Européistes fascistes, plus ou moins puissants, qui attendaient dans les coulisses du pouvoir l’opportunité de s’en saisir comme d’un jouet jouissif. La guerre civile gronde en France et la Mort est à la fête. Les cadavres s’accumulent, les frustrés s’éclatent, les résistants dont Jean-Luc Mélenchon, notre fringant Cicéron contemporain, se comptent sur les doigts d’une main et s’organisent plutôt mal que bien. Le peuple fuit dans le désordre la trouille au ventre – « l’exode a toujours été l’antichambre de la guerre » – ou collabore pensant sauver sa peau. Quant à nos inénarrables élites de tout poil, présidents et députés d’hier et d’aujourd’hui, exfiltrés par les forces militaires restées fidèles à l’ancien monde, elles prennent la poudre d’escampette vers des terres plus sereines, tout en veillant à sauvegarder et leurs biens et leurs prérogatives. « Quand la raison s’effondre dans des dogmes et perd pied, nous dit Christian Lestavel, l’absurde jaillit. Le temps des lâches est revenu. Pour beaucoup, il vaut mieux lever le bras et adhérer que perdre les miettes acquises ».

Dans ce « basculement autoritaire de l’Europe », où « l’heure du sacrifice est arrivée », selon ses nouveaux maîtres, on fait le ménage à coups de flingues, d’arrestations et d’exécutions sommaires. Bref, rien de très jouasse mais rien d’insurmontable non plus. L’Histoire a écumé tellement de guerres que nous n’y voyons souvent que son cours inexorable. La chair à canon, celle de nos mômes – d’hier, d’aujourd’hui et de demain – ainsi que la nôtre, se compte toujours au futur en dommages collatéraux commémoratifs.

La liberté a son prix, mais c’est rarement celui que l’on croit. Le pire est ailleurs, bien loin de ce qui occupe le peuple dont la sempiternelle et grotesque défense de son pouvoir d’achat mode libérale décomplexée. Et là, le Protocole de glace nous dresse un scénario vraiment flippant mais tout à fait possible. Pendant que l’extrême-droite, en ces années pas si futuristes que cela, se répand comme une lèpre noire sur le vieux continent européen et que ses sbires s’agitent comme de lugubres marionnettes, une autre partie d’échecs se joue sur l’échiquier planétaire, au milieu de nulle part, en Antarctique, sur la très secrète base américaine McMurdo. Là, pour quelques heures, siège un conclave civil composé des « cent-quatre-vingt-neuf chefs des états-majors, sur les cent quatre-vingt-dix-sept reconnus par l’ONU et les huit hommes les plus puissants de la planète, ceux qui détiennent le feu nucléaire ». La tâche de cette assemblée de dupes est messianique. Au nom de Dieu, au premier chef celui des Chrétiens bien évidemment : « L’unité du monde ne peut dépendre que de la volonté du Tout-Puissant et nous sommes réunis ici par sa seule volonté, pour mettre en œuvre l’avenir qu’il veut que l’on trace pour l’Humanité. Libre à chacun, par ses coutumes et sa culture, de le représenter, l’adorer et le servir – seuls sont acceptés le catholicisme, le judaïsme, l’islam et le bouddhisme – Mais nous vous demandons aujourd’hui, ensemble d’harmoniser sa parole et son message. De faire naître la Bible Universelle qui sera la genèse du premier jour du Nouveau Monde ». Qui aura la clef de la puissance nucléaire mondiale et deviendra, pour dix ans, le Président de cette Union Mondiale ? Le vote doit être unanime et se répéter autant de fois qu’il sera nécessaire, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une tête. Bien faite ou mal faite, on s’en fout. Elle doit avant tout être solide et surtout aussi froide et assassine que la mer de glace qui emprisonne tous les participants, où la moindre velléité de protestation, oublions le cran au-dessus, celui de l’opposition, est sanctionnée par la mort. Un gouvernement mondial se met ainsi en place loin du brouhaha des peuples. Son siège sera sur le « sixième continent, l’Antarctique ».

Son but est clair. Il est unique : nettoyer la Terre de sa populace encombrante et la ramener au rang du gérable : deux milliards d’individus dociles et corvéables. Plus de partis politiques, plus de syndicats, plus d’associations ni groupements quelconques, plus de médias, plus de livres. Abolition des Droits de l’Homme, de la Démocratie ou de quelconque système politique, et les biens vitaux (alimentaires, énergétiques, médicaux, industriels et monétaires) seront désormais propriété du gouvernement mondial. Tout contrevenant à ces diktats sera ipso facto déclaré hors-la-loi et exécuté. L’Homme est convié à « s’épanouir dans la foi, le travail, le partage des richesses et la paix ». Couché, au pied et ferme ta gueule.

Pour sauver cette Humanité bien mal emmanchée dans ses individualismes et particularismes, « éradiquer ces désirs », « la réguler selon nos besoins et notre évolution », on ne lésine pas sur les moyens, virtuels, cela va de soi. Gouverner mais sans se salir les mains. L’idéologie se veut aussi propre que l’Immaculée Conception. Sous l’égide du nouveau Maître du Monde et de ses « huit grands princes » qui le secondent dans sa tâche et partagent avec lui tous les pouvoirs, après dissolution de toutes les institutions internationales actuelles et rétablissement du droit divin, des droits héréditaires du sang et des titres de noblesse, commence le grand nettoyage, sans que personne, pays ou chefs d’Etat, ne se déclare la guerre. Pour remettre le monde en droite ligne, il suffit de sacrifier « quelques centaines de millions » d’humains. La solution est simple : Black-out absolu. Planète au point mort. Plus d’eau, plus d’électricité, plus rien à bouffer, plus de soins. Plus rien. Au terme de trois mois de cette liesse macabre, un milliard et demi de l’humanité aura disparu. « D’avoir laissé la Nature reprendre ses droits et réguler le Monde… […] … sera le seul reproche qu’on pourra nous faire. L’Histoire nous jugera alors ». Les drones lâchent leurs bombes aux quatre coins du monde, une bombe nucléaire explose quelque part. Et dans cette apocalypse de tous les diables, une poignée d’être humains, héros ordinaires des circonstances auxquelles involontairement ou non ils ont collaboré, dérivent en mer.

Scénario catastrophe ou mise en gerbe d’un futur poussé jusque dans ses derniers retranchements ? Au lecteur de juger. Christian Lestavel nous livre dans 2025, le protocole de Glace, premier volet d’une série de romans d’anticipation politique, où fiction et réalité se mêlent étroitement, une analyse lucide et dérangeante du pathos endémique dont souffrent nos systèmes gouvernementaux, quelles que soient les idéologies de carton-pâte dont ils se réclament, et dont nous engrossons allégrement les symptômes. Un cancer généralisé. Ce qui nous pend au nez, comme on dit populairement, à savoir ce clergé assassin du Nouvel Ordre Mondial, silencieusement déjà en marche, dont les croisades se résument à défendre le pré-carré de leurs stricts intérêts capitalistes, au nom de leur Dieu, sans en avoir rien à foutre des peuples. De vous, de nous.

D’une certaine manière, l’avertissement que nous donne Christian Lestavel dans ce Protocole de glace dont la lecture n’a rien de facile d’autant plus qu’elle fait cauchemarder plutôt que rêver, fait écho à cette sentence de Plutarque : « Il faut avoir des amis et des ennemis ; des amis pour nous apprendre notre devoir, et des ennemis pour nous obliger à le faire ».

A bon entendeur, salut.

 

Mélanie Talcott

 


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A propos de l'écrivain

Christian Lestavel

 

Christian Lestavel, ancien braqueur, a été chargé d’infiltrer le crime organisé pour le compte des RG. Il a participé au démantèlement d’importants réseaux de trafic d’armes et de drogue, et a contribué à la chute d’une grande famille de la mafia italienne. Il a publié Nom de Code La Loutre Comment j’ai infiltré le crime pour les RG (Robert Laffont, 2006) et La Guerre secrète des casinos (Fayard 2007), Africa Corse (2012, le Toucan Noir), Parrains du Sud, un infiltré au cœur du grand banditisme (2015, Le Toucan Noir). Par ailleurs, Christian Lestavel est également scénariste pour la télévision. Il a ainsi collaboré à un épisode de La Crim’, qui met en scène la brigade criminelle de Paris. Un retour à la source de l’autre côté du miroir.

 

A propos du rédacteur

Mélanie Talcott

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Maquettiste free-lance (livre papier et numérique, livre clé en main)

Écrivain et auteur de : Les Microbes de Dieu (2011), Alzheimer... Même toi, on t'oubliera (2012)

Chronique à l'Ombre du Regard (2013), Ami de l'autre rive (2014), Goodbye Gandhi (2015 -

prix du jury 2016 du polar auto-édité), La Démocratie est un sucre qui se dissout dans le pétrole (2016)