(2) Poésie et chanson, stop aux a priori ! 100 pages pour remettre les pendules à l’heure, Matthias Vincenot, par Murielle Compère-Demarcy
Poésie et chanson, stop aux a priori ! 100 pages pour remettre les pendules à l’heure, Matthias Vincenot, Éd. Fortuna, mai 2017, 104 pages, 12 €
La réussite de ce nouveau livre de Matthias Vincenot – poète, Docteur ès lettres, Chevalier des Arts et Lettres et professeur aux Cours de Civilisation française de la Sorbonne, créateur du Festival DécOUVRIR de Concèze en Corrèze – réside dans sa force argumentative illustrée d’exemples concrets empruntés à notre patrimoine littéraire et à nos répertoires de la chanson. L’ensemble de son essai agréable d’accès bénéficie d’une clarté qui donne toute sa puissance et son évidence au plaidoyer ici proposé. Son actualité (il s’agit de « remettre les pendules à l’heure ») et son intelligibilité, d’une lisibilité attractive, ne gâchent rien à la pertinence de la thèse et au plaisir de cette lecture. Un peu comme si – peut-être malgré lui – Matthias Vincenot avait réussi pour son livre cette alchimie des ingrédients qui met en bouche et pour notre plaisir ce qui participe semblablement à la réussite d’un poème qui « nous » parle, au succès d’une chanson.
Sans simplisme mais avec une simplicité efficace et éloquente, Matthias Vincenot parvient dans Poésie et chanson, stop aux a priori ! à remettre les pendules à l’heure, afin que résolument nous regardions ces deux « cousines » d’un même œil objectif et reconnaissant. Sans faire ni tenter de « faire de la littérature » – ce qui d’ailleurs trahit en principe un déficit de savoir-faire et n’est pas véritablement littérature – ; sans rigorisme théorique ni complaisance ; battant en brèche les « raccourcis commodes, des jugements de valeur, des fausses prétentions et des vraies confusions » entourant souvent ces deux arts, qu’ils soient populaires ou savants.
Poésie et chanson, stop aux a priori ! constitue une mise à jour du regard porté sur ces deux comparses – entreprise amorcée lors de conférences préalables animées autour du livre par Matthias Vincenot (à la Sorbonne, par exemple, le 26 juin 2017 dans « Poésie en liberté / Chanson française en Sorbonne »), présentée le 13 juin 2017 à la Galerie de l’Entrepôt (Paris, 14e) où l’auteur effectua une lecture d’amples extraits du livre ponctués par les interprétations d’auteurs-compositeurs et/ou poètes présents.
La démonstration de Matthias Vincenot, d’une clarté simple et dense, part du postulat suivant : le rapport incontestable et incontournable entre poésie et chanson, avec l’objectif de mettre ce rapport à jour dans la difficile définition de ces deux exercices artistiques et littéraires. « La difficulté de ce rapport, confie Matthias Vincenot, naît en réalité de la difficulté de définition, d’une part de la poésie, d’autre part de la chanson ». Avec force références d’artistes et d’auteurs « poussant la chansonnette », l’auteur rend évident ce rapport de création fertile. Sous-tendu par la réalité, elle-même riche, de « cette richesse qui donne de la valeur aux arts (…) ».
Malgré la difficulté de pouvoir fixer des traits fondamentalement définitoires pour chacune des deux expressions – poésie et chanson –, sans en réduire la voilure, Matthias Vincenot construit sa démonstration autour de notions décisives éclairantes : le poétique, la réception du texte, la présence de la Voix, le phénomène de l’interprétation, le statut des auteurs.
La force de cet essai est de refuser toute hiérarchisation entre poésie et chanson, d’en fonder la singulière Résonance au cœur de l’Émotion, de ne céder à aucun jugement de valeur, tout en argumentant avec pertinence pour défendre sa thèse et tout en rendant un très bel hommage, et à la poésie et à la chanson. Car Matthias Vincenot les défend, l’une et l’autre, et ce faisant les sert admirablement :
« La poésie (…) n’a pas perdu son âme. Ce qui est regrettable, c’est sa marginalité dans notre société. Les façons et les moyens de la diffuser, ce sont les poètes eux-mêmes qui se les créent, par leurs lectures, les rencontres organisées, leur présence dans des revues souvent confidentielles, leurs recueils publiés par des éditeurs qui ne gagneront pas d’argent avec ces ouvrages…
Certes, la marginalité rend libre, mais la poésie souffre d’être frappée d’inexistence par des prescripteurs de culture ne jouant pas toujours leur rôle. Bien sûr, elle ne fait pas partie du marché. Mais l’information culturelle doit-elle tout le temps être dictée par le marché, ou par ce qu’on croit être du marché ? Évidemment, personne ne se pensera responsable. Suivons un raisonnement simple : pourquoi les librairies mettraient-elles la poésie en valeur puisque celle-ci est absente des médias ? Pourquoi les médias en parleraient-ils puisqu’elle ne se lit pas ? Et la question ultime : pourquoi les éditeurs en publieraient-ils puisqu’elle ne se vend pas ? Heureusement, ce n’est pas le cas de tous et il existe des points de résistance… ».
« Je rejette toute généralisation excessive. Les chansons ne s’écoutent pas toutes de la même oreille, voilà tout. Bien sûr, certaines chansons insipides rencontrent le succès, mais ce n’est pas du tout dû au fait qu’elles sont insipides. Certaines sont plus des chansons “populacières” que des chansons populaires(…) parce qu’elles ont été expurgées de toute aspérité pour flatter le plus grand nombre, alors que la chanson populaire peut toucher chacun dans l’universalité des sentiments retranscrits. Toucher beaucoup de monde n’est pas déshonorant. L’autre excès serait de considérer que seul le succès populaire détermine la réussite. Or, il y a différentes façons de (…) rencontrer le public, et j’aime à ce sujet la belle expression de Pierre Barouh, sur “l’effet-pollen” des chansons qui, qu’elles soient chantées devant des milliers de personnes ou quelques amis dans un bar, se diffusent comme du pollen ».
Matthias Vincenot défend à la fois la poésie et la chanson, leur « cousinage compliqué » pouvant donner naissance à des beautés inoubliables qui nous resteront en mémoire, que l’on se récitera, que l’on fredonnera… sans les réduire aux catégories insuffisantes d’« art mineur » ou d’« art majeur ». Mais laissons encore la parole à Matthias Vincenot, dont ces mots suffisent à révéler la pertinence et la bienveillance de son objectif empreint d’un humanisme et d’une générosité fertiles comme l’est la création, la créativité, les créateurs…
« La poésie, comme la chanson, a des exigences propres, et certains types de faiblesses (différentes pour chacune) seront pardonnées à l’une, pas à l’autre. Elles possèdent leurs libertés et leurs contraintes, qui ne sont pas du même ordre. Elles accompagnent des vies, mais pas toujours à la même échelle. L’une n’est pas meilleure que l’autre, et il n’existe pas de jugement de valeur qui puisse se tenir sur un genre par rapport à un autre. Je n’aime pas que les savants regardent de haut la chanson, ou que les amateurs de chanson pensent qu’ils regardent de trop bas la poésie pour pouvoir la comprendre, ou l’appréhender. Je n’aime ni l’élitisme, ni la moquerie facile, ni la raillerie commode dont l’époque est friande. J’ai le plus grand respect pour les créateurs, quels qu’ils soient ».
Murielle Compère-Demarcy
- Vu: 2315