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# 2 - le pull orange

Ecrit par Marie du Crest le 20.02.15 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

# 2 - le pull orange

 

 

J’ai revu Un Batman dans ta tête au Théâtre Ouvert. Mathieu ou Thomas dans la baignoire matricielle de sa mère ogresse : celle qui crie les cris. Il y eut un entracte, une pause durant laquelle on bavarde, on prend un verre, encore tout habités par ce que l’on a vu et écouté. Après Batman, il y a Sauver la peau ; même auteur (David Léon), même metteure en scène (Hélène Soulié), même solitude du monologue et presque même durée (1h15 environ), symétrie entraînant d’ailleurs des coupures dans le texte de David Léon. Mais Mathieu, l’enfant en short, qui parlait depuis sa mort, ses cendres, a laissé la place à son grand frère. Manuel Vallade a succédé à Thomas Blanchard, sous la coupole de métal. Adulte en pantalon noir et pull-over orange aux traits apaisés, presque souriant.

Les deux pièces se répondent, forment diptyque. Le grand frère nous raconte ce que Mathieu ne pouvait saisir de sa vie irrémédiablement scindée. L’éducateur démissionnaire de Sauver la peau peut dire JE à la différence du jeune garçon, qui se dit toujours, TU, à l’exception du dernier mot qu’il articule. D’ailleurs la voix, la matière vibratoire des mots a basculé du côté de la maîtrise des phrases, du souffle, d’une sorte de sagesse. Mathieu ou Thomas parlait dans la tension du « presque chuchotement », assis au fond de leur baignoire tandis que le frère Manuel se tient debout comme un orateur, comme s’il s’agissait d’un stand up au sens propre du terme. Il fait toutes les voix des personnages croisés sur sa route. Et d’ailleurs, nous entendons une voix off, une voix savante, avant l’entrée du frère sur le plateau, disant un extrait de L’effort pour rendre fou d’Harold Searles qui sert dans l’édition d’épigraphe. Le dispositif frontal est en quelque sorte un retour à l’ordre rationnel du monde (du théâtre). Le personnage va gagner l’espace de la lumière : tout d’abord éclairé partiellement et ensuite tout entier, s’approchant de plus en plus près du premier rang des spectateurs, comme s’il allait les prendre à témoin individuellement, marchant de l’un vers l’autre, les frôlant presque. Le tragique de la première pièce lui aussi se défait au profit de la satire implacable du milieu psychiatrique institutionnel (carcan tout aussi redoutable que celui de la famille), que la « psychiatre, psychothérapeute, psychanalyste » incarne jusqu’au ridicule. Le public ne s’y trompe pas et rit, entraîné par les expressions du comédien et les répétitions de certaines formes (dit un tel). Mais cet espace de la raison revenue est fragile de la même manière que le sol du plateau est un miroir qui se brise, qui part littéralement en morceaux, puzzle de la déconstruction de soi. Le grand fils parle de plus en plus fort au moment où il évoque les blessures qu’il faut ré/pa/rer (cf. p10).

Le petit frère surgit lui en vidéo sur un écran dont il demeure prisonnier. Ses mains contre la paroi de l’invisible, au dessus de son aîné, face à nous. Quelque chose nous éloigne, fait brusquement « rupture avec ». Le ressort comique s’estompe. Lacunes, trouées dans l’écriture. La disposition du texte est faite de changement de page, de bifurcation de la parole que le dispositif scénique marque parfois. Comment passer du dire à l’écrire, comment faire de l’écriture en acte un geste théâtral, comment faire se superposer la voix du personnage et celle de David Emmanuel Christian (Léon) ?

J’allais raconter. Ecrire. Reprendre la mise en chaos. Faire les liens entre le carcan familial. Et le carcan institutionnel d’éducation. J’allais commencer enfin à en dire quelque chose de l’homosexualité. Juste quelques pages. Peut-être un livre (p15).

Et vient alors l’aveu de l’homosexualité. Le théâtre et la sexualité travestissent : du rouge à lèvres ; des escarpins comme autant d’accessoires du désordre homosexuel au sein de la famille provinciale. Le corps de Manuel Vallade, à son tour, change : moins rigide, torse nu de danseur. Il se donne en spectacle, fait son show derrière le micro, entonnant la version américaine de Comme d’habitude « My Way », accomplissant enfin jusqu’au bout la fidélité à soi-même. Il ne lui reste plus alors qu’à retourner dans les coulisses et nous laisser seuls mais moins bouleversés.

Les représentations de Sauver la peau ont lieu jusqu’au 14 février au Théâtre Ouvert à Paris dans une production du collectif Exit et une coproduction du Centre national des Dramaturgies Contemporaines Théâtre Ouvert. Elle a d’abord été mise en voix en février 2014 par Stanilas Nordey dans le même lieu. France Culture, prochainement, proposera une création radiophonique du texte, réalisée par Christophe Hocké.

 

Retrouver David Léon et ses textes dans mes diverses chroniques dans la revue en 2014 :

http://www.lacauselitteraire.fr/un-jour-nous-serons-humains-de-david-leon

http://www.lacauselitteraire.fr/journees-de-lyon-des-auteurs-de-theatre-2014-rencontre-avec-david-leon

http://www.lacauselitteraire.fr/un-jour-nous-serons-humains-david-leon

 


 

 

Marie Du Crest

 


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A propos du rédacteur

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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.