13, Zineb El Rhazaoui
13, mars 2016, 296 pages, 18 €
Ecrivain(s): Zineb El Rhazoui Edition: Ring Editions
Ecrire juste derrière l’événement
Écrire sur le 13 Novembre. Des articles, évidemment ; ceux de l’heure d’après, ou même les copiés-collés de brèves à peine vérifiées – mais l’appétit est, dans un tel cas, insatiable dans l’opinion – ceux, plus organisés, ciblés, réfléchis, qui noircissent pages et sites dans le jour d’après, attendant les chroniques, par définition analytiques et architecturées autour de leur axe, et (ou) de leur point de vue, des hebdo. Mais écrire tout un livre qui paraîtra dans les petits mois suivant l’évènement – autrement dit, dans son espace temps, quand même – est bien autre chose.
Parce qu’il s’agit de choisir un genre, un type de livre, puis de parvenir à construire, en évitant des écueils considérables. La fiction – juste après le jour de l’évènement – ne peut trouver sa place, même si on sait qu’il y en aura beaucoup plus tard, s’autorisant à minima à tapisser de ce contexte le fond des pages. L’analyse non plus ne convient pas ; elle exige croisements de sources multiples, enquêtes fines et longues, étayées éventuellement d’entretiens à protocoles sociologiques ; celle-là, qu’elle soit plutôt politique, géopolitique, ou historique, se doit de laisser reposer le factuel au fond du pot ; il y faut un certain temps, au fond, peut-être un temps de deuil… ne parlons pas, par ailleurs, de ces livres à scandale, proches des presses de coiffeur, qui prétendent vous renseigner sur « tout ce qu’ILS savent, et que vous ignorez sur les faits, les gens, révélations, scoops, etc. »
Alors quel genre possible ? Utile ? Acceptable tant par l’éthique que par le respect de l’Histoire. Eh bien, peut-être, celui que nous propose Ring avec 13.
Mise à part, toutefois, la réserve qu’on peut d’entrée poser sur la couverture un rien trop accrocheuse, bâtie comme une affiche de film tapageur (« Zineb raconte l’enfer du 13 Novembre avec 13 témoins au cœur des attaques – accord parental souhaitable »). La qualité du livre n’avait – me semble-t-il – pas grand-chose à gagner à ce prétendu « plus » commercial, et probablement, quelque part, à perdre…
Car l’auteure est Zineb, sa forte personnalité d’ancienne de Charlie, et d’échappée du massacre de Janvier, qui emporte le livre d’entrée par des prises de position argumentées, mais dont la validité ne peut qu’être le produit du débat qui traverse du reste la société. Selon elle (plutôt légitimée pour s’exprimer sur la question), les actes terroristes de 2015 ont à voir avec « l’intime » de l’Islam ; ces actes se réclament du religieux, et cette religion porte en elle des éléments de structure – depuis l’origine, dit-elle – de nature à alimenter les déviances actuelles. On pourrait discuter de son introduction, point par point, mais aussi l’inviter à le faire via un autre essai (ultérieur ?). Pourquoi, par ailleurs, est-ce posé comme introduction et non une conclusion, risquant ainsi de laisser planer le doute ou le soupçon d’avoir voulu nous « faire penser » l’évènement à sa manière ?
13 chapitres – aucun de vraiment raté ni d’absolument faible ; quelques passages (rares) moins réussis dans leur objectif, ou leur rythme, sans compter un rapport parfois un peu forcé à l’émotionnel. L’ensemble tient du réussi, nous embarque (ce livre se lit d’une traite), et l’on en sort globalement satisfait. Faut-il le dire ; ce n’était ni gagné, ni facile.
Les choix des « témoins » (si l’on excepte un portrait posthume d’Abaaoud, cerveau présumé des attentats, par ailleurs informatif) échappent à la maladresse qui aurait privilégié un seul type d’acteurs (on imagine la coulée genre chaîne info en boucle des rescapés, des observations du voisinage des lieux, la parole effondrée des parents de victimes…). Une autre erreur eût été d’abuser d’un « coloré » monocorde les pages : chagrin, colère ; cris, pleurs. Ce que nous lisons est infiniment plus varié, plus finement donné à ressentir. Ainsi, précieux et remarquablement rendus les états psychologiques de ceux qui nous racontent l’après, quand on est encore vivants, puis (ou bien) la descente aux enfers de ceux qui ré-atterrissent dans la douleur, la culpabilité, le non-oubli incontournable. On croise – des récits particulièrement efficaces, menés avec rythme, précisions, soucis du détail – ce vigile du Stade de France, ce jeune journaliste bloqué dans une loge du Bataclan, le chanteur du groupe de rock. La parole du médecin des sapeurs pompiers entré dans la salle de spectacle devenue scène de guerre, rebondit sur celle – presque incontournable pour nous – de Patrick Pelloux, qui dit, lui, son propre circuit entre Charlie et Novembre. On écoute, en retenant notre souffle et quasi notre lecture, cette femme partie à la morgue reconnaître sa fille. On a froid dans le dos, quand certains de ces 13 racontent ces cadavres devant lesquels ils se sont trouvés, et les yeux de ce terroriste, croisés, et, qui, depuis… on imagine. Jamais une faute de goût dans ces récits reconstitués, et du coup, très efficaces (Zineb raconte ce qui lui a été dit, mais ne rapporte pas ces interviews de façon « scientifique » ; ce n’est ni son objet, ni probablement son moment). L’architecture – habile – alterne la vision des témoins, leur angle de vue, leur place dans ce sinistre théâtre… Pas grand-chose de trop – c’était pourtant le piège possible.
Dans ces terribles pages, et sur ce sujet-là, le projet de Zineb et de ses éditeurs atteint ses objectifs : informatifs, factuels, triés avec l’honnêteté intellectuelle requise, et surtout avec ce qu’il faut d’humanité, de citoyenneté solidaire, face à ce réel si près de nous, qui nous concerne tous. Un livre pour dès maintenant, certes, mais qui tend la main, demain, à l’Histoire qui suivra.
Martine L Petauton
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