10 bonnes raisons de ne pas se faire sauter, Plantu (par Fanny Guyomard)
10 bonnes raisons de ne pas se faire sauter, novembre 2018, 192 pages, 18 €
Ecrivain(s): Plantu Edition: Seuil
Plantu, connu pour ses dessins qui paraissent dans le quotidien Le Monde, revient en images sur l’actualité de l’année. Mais, prévient-il, « il s’agit d’un livre un peu différent des autres ». En effet, la première partie est dédiée à la question de l’islam en France, « démocratie fragilisée » et perturbée par des « malentendus » depuis les attentats de Charlie Hebdo en 2015. Difficile de parler religion ! Il offre alors un entretien avec un interlocuteur actif dans la lutte pour la tolérance et la réconciliation des religions : le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur. Sur une cinquantaine de pages, on aborde de nombreux thèmes comme le salafisme en France, le rôle du dessin de presse, la laïcité, le port des signes religieux ou encore le ramadan, le tout rythmé par les dessins de Plantu parus dans depuis 1977, preuve de la permanence du débat.
Plutôt qu’une interview, où le journaliste poserait des questions « neutres », Plantu fait le choix d’une conversation où il fait part de son expérience de dessinateur et donne son avis.
L’intérêt de cette forme ? Elle montre que les deux professions rencontrent les mêmes obstacles face au radicalisme religieux.
Sa faiblesse ? Les interlocuteurs s’approuvent mutuellement, ce qui peut parfois donner un échange lisse, qui tend de surcroît à tourner en rond malgré la progression thématique. Leurs idées auraient gagné à être amenées plus finement, à travers des questions et non avec des constats comme « Vous méritez mieux que d’être définis par des gens qui ne vous représentent en rien » ou « Il faut faire énormément de pédagogie ».
Certes, Plantu publie sans doute ce livre car ces évidences ne le sont toujours pas. Mais à qui s’adresse ce livre ? Aux non convaincus, qui donneraient soudainement du crédit à deux voix unanimes ? Ou à ceux qui luttent déjà « contre l’intolérance et l’ignorance », et donc qui pourraient s’agacer des nombreuses platitudes de cet entretien ? Elles ternissent l’ensemble, qui recèle pourtant de passages très intéressants, lorsque les discoureurs font part d’anecdotes personnelles. Mais c’est une désagréable impression qui l’emporte, quand le dialogue se conclut sur les « 10 raisons de ne pas se faire sauter ». C’est au recteur à qui revient la tâche délicate de légitimer le titre. Les listes sont une forme attrayante, car elles ont le mérite d’être claires et synthétiques. Mais elles sont aussi souvent de simples prétextes, donc difficile d’atteindre dix raisons pertinentes et singulières…
La deuxième partie du livre revient sur l’actualité de fin 2017 à fin 2018, classée en six catégories hiérarchisant les événements en termes d’importance : d’abord ce qui a trait au terrorisme, à la justice et à la police, puis aux thèmes sociétaux, suivis de l’actualité internationale. Arrivent ensuite la politique française, puis un court chapitre sur le sport. Le dernier rend hommage à quelques personnalités disparues au cours de l’année.
Le nombre de dessins par événement reflète sa représentation dans les médias, comme l’affaire Benalla qui occupe une large place dans le chapitre « société ». Les faits sont classés par ordre chronologique mais aussi par importance dans leur retentissement sociétal, et aussi dans un souci de progression thématique : ainsi les différentes réformes (du travail, des retraites) viennent-elles avant des polémiques sanitaires apparues plus tôt dans l’année.
Pour la politique internationale, cet esprit de progression l’emporte nettement sur la chronologie : des migrations, l’on passe à l’Allemagne, pays d’accueil fragilisé de ce fait par l’extrême droite. Ce qui permet de rebondir sur la montée des extrêmes qui mettent l’Italie en porte-à-faux vis-à-vis de l’Europe, tout comme la Catalogne.
La construction est intelligente dans l’ensemble, avec une réserve cependant sur le chapitre entièrement dédié à la Coupe du Monde. Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir une partie sur l’écologie, représentée par bien plus de dessins ?
Venons-en justement aux dessins, qui sont souvent brillants. On aime lorsque le dessinateur joue la provocation, comme en représentant François Hollande en caissière qui offre une légion d’honneur au roi d’Arabie Saoudite venu faire ses achats d’armes… Ou lorsqu’il représente Mahomet – geste interdit – sous la forme d’un calligramme répétant en boucle : « Je ne dois pas dessiner Mahomet »…
D’autres, notamment lorsqu’ils mettent en scène la républicaine Marianne, la colombe de la paix ou la petite souris personnifiant le dessinateur, pourront être qualifiés de « tendres » ou de « mièvres » selon les tempéraments. Mais ces symboles sont subtilement utilisés, comme lorsque la justice, littéralement aveugle, laisse sortir de prison un pédophile en lui lançant : « Et ne recommencez pas, on vous a à l’œil ! ».
Plantu offre un ouvrage riche et éclairé sur les enjeux contemporains, à travers un entretien inégal et des dessins faisant moins sourire que penser.
Fanny Guyomard
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