Vanité de Duluoz, Jack Kerouac (par Philippe Leuckx)
Vanité de Duluoz, 518 pages
Ecrivain(s): Jack Kerouac Edition: Folio (Gallimard)
Un dernier livre donne envie de relire l’ensemble. Pour avoir apprécié Avant la route, Sur la route (dans ses deux versions), Le Vagabond solitaire et Big Sur, j’avoue avoir retrouvé dans cet ultime ouvrage de l’auteur qui ne lui survivra qu’un an (Kerouac est mort en 1969, à quarante-sept ans) tous les atouts d’une œuvre se démarquant par sa dose d’instantanéité romanesque, sa stylistique imparable tissée de vitesse, de poésie et de culture, et surtout par le tableau ethnographique que Kerouac donne de la société de son temps, au filet de sa conscience et de son vécu.
Ce livre, donc, relate ses expériences multiples entre 1935 et 1946, soit le temps d’une « éducation aventureuse » (sous-titre qu’il s’est choisi pour l’œuvre de 1968), entre foot américain, expériences de marin en guerre, découvertes universitaires (à la Columbia), plus divers petits métiers pour que Ma et Pa ne terminent pas dans la misère, entre déménagements et emménagements (avec sa première femme Johnnie), entre beuveries et initiation à la vie réelle, laborieuse.
Sans oublier sa propension à l’amitié qui fait de cette œuvre, où les amis sont décrits, analysés, entourés, un portrait plus tendre que tendu. Un cœur gros comme l’Amérique d’alors bat sous la chemise du grand sportif que fut Jack, Duluoz dans ce livre qui relate, par le concret, en mêlant réalité et formulations à la Kerouac, les aventures, les mésaventures, la vie d’un gars entre ses 13 et 24 ans, dans une Amérique bariolée, diverse, provinciale ou new-yorkaise.
C’est aussi le départ de la Beat Generation, puisque, dès 1944, au Village, Kerouac rencontre les futurs tenants de cette « école » qui baigne dans le jazz, les écrits, l’art, les fumettes en tous genres, la sexualité débridée et les revers, certes, de cet appel à changer la vie.
Beaucoup de sincérité, beaucoup de poésie, beaucoup d’air (celui des embarquées, de l’océan) traverse ces pages, ces livres qui ont décidé d’un destin, vraiment peu banal, dont Kerouac garantit l’authenticité comme la vanité des débuts.
Vanité, art d’apprendre à écrire selon lui, et le livre est aussi un parcours d’artiste, celui de quelqu’un qui se met, par haute nécessité, à écrire, comme pris par ce virus irrépressible.
Des morceaux d’anthologie – les compétitions de foot, les scènes sur les bateaux de guerre… – prouvent l’inventivité de leur auteur et la justesse des impressions recueillies des « carnets et journaux » d’alors par un Kerouac sensible, doué, qui sait parler de lui sans oublier les autres.
« J’écrivis beaucoup sans oublier de vivre » : la devise d’une œuvre, d’un regard, d’une attention et d’une culture. Un grand livre.
Philippe Leuckx
Jack Kerouac (1922-1969), écrivain américain, rendu célèbre par Sur la route.
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