Sauver Mozart, Raphaël Jérusalmy
Sauver Mozart, Mars 2012, 150 p. 17,10 €
Ecrivain(s): Raphaël Jérusalmy Edition: Actes SudUn trait d’humeur, d’humour, ou de la manière de traiter de façon légère, un sujet sulfureux. Pianissimo. Ou comment un homme-musique, miné par la tuberculose, cloîtré dans un sanatorium à Salzbourg, en pleine guerre, va tenter de changer le cours de l’Histoire. La frontière est-elle étanche entre son monde et le monde extérieur ? « Le frôlement des mondes (…) Coexister, c’est aussi savoir s’ignorer » (Raphaël Jérusalmy, Libération, la semaine de l’écrivain, 6 mai 2012). Entre ces deux mondes qui interfèrent, Otto Steiner, le narrateur, va servir de passeur prémonitoire, d’interprète : « Dimanche 8 octobre 1939 (…) J’ai rêvé de monter un orchestre. Avec les malades. Ça m’a fait rire. Tous ces squelettes en pyjama jouant du Schubert à l’entrée du réfectoire ! C’est trop cocasse » (p.28).
C’est l’histoire, par journal, lettres et partitions interposés, d’actes manqués, une histoire à côté, l’histoire d’un fou de musique dont le corps se décompose encore vivant, et qui ne tient que par la musique : « Je me souviens de centaines d’airs, des paroles de tous les grands opéras, en italien, en allemand, en français, des noms des maestros et des divas, des applaudissements. Ils résonnent dans ma tête. Ils me battent les tympans. S’ils me prennent la musique… » (p.57).
L’histoire aussi d’un canular, mais élaboré de main de maître : qui trompe l’autre dans ce petit livre ? Qui se trompe sur l’autre ? Une seule idée, mais fixe qui donne son titre à cette partition : sauver Mozart de son exécution par ces exécuteurs testamentaires trop pesants que sont, à ses yeux, les chefs d’orchestre reconnus et encensés du Reich, le sauver de son éreintement entre deux morceaux trop longs auxquels Steiner pense que Mozart – et lui-même par sympathie – ne survivront pas :
« (…) Faire du festival un vulgaire outil de propagande, un amusement troupier, c’est un comble. Prendre Mozart en otage. L’avilir ainsi. N’y a-t-il donc personne pour empêcher un tel outrage ? Cette fois-ci ils dépassent les bornes ! On ne peut tout de même pas les laisser faire une chose pareille. Sans s’insurger, sans réagir. Il faut mettre fin à cette mascarade. A tout prix. Il faut sauver Mozart ! » (p.53). Sauver la musique comme ce qu’on emporte de plus précieux lors d’une catastrophe, comme son appartenance. Steiner, demi-juif, qui ne l’est que par son père non pratiquant, qui ne se revendique d’aucune religion, se voit affublé d’un vieux voisin de lit fredonnant à perte d’haleine une mélodie yiddish : « Mercredi 19 juin 1940. Mon voisin de gauche dépérit. Il bredouille des phrases incompréhensibles. Ou plutôt il les fredonne. Une sorte de dialecte germanique mêlé d’intonations plus douces, plus slaves. Sur un air de chansonnette, assez entraînant, toujours le même. Probablement une mélodie de danse folklorique. Je pourrais écrire un article là-dessus, un essai. “Musique et mémoire”. Ou quelques gammes. “Sonate pour poumons à vent et gosier phtisique” » (p.118). Il va faire mieux. Cette mélodie emplit l’esprit de Steiner au point qu’elle occulte toute autre musique. Il l’accueille, elle fait lit en lui : « (…) Alors j’ai repris la mélodie, en canon, puis les sons gutturaux, avec l’accent de mon père. Tout bas. Petit à petit, ça m’a dégagé les poumons à moi aussi. Et un peu calmé. Maintenant, je n’arrive plus à m’en défaire. Elle ne cesse de me trotter dans la tête ! » (p.124).
Steiner qui, à la demande de son ami Hans, rédige la brochure du festival, suggère à celui-ci d’introduire une petite pièce de violon soliste, qu’il se propose de composer, pour permettre une respiration : « Entamer la symphonie de Tchaïkovsky immédiatement après le “Concerto en do majeur”, sans transition, me paraît trop abrupt. C’est étouffer Mozart et faire de son concerto un simple intermède » (p.120).
Sa demande acceptée par les organisateurs, le public essentiellement SS reprendra en cadence, applaudira puis ovationnera debout la mélodie yiddish du vieux voisin de lit de Steiner : « (…) Et puis Schneiderhan – le violon soliste – a emporté la salle d’un coup, tout souriant. Il a lancé un clin d’œil charmeur à l’assistance et s’est mis à taper du pied. Invités à ce moment de licence, les officiers se sont aussitôt joints à lui, frappant le sol de leurs bottes. Les autres claquaient des mains en cadence. Le Mozarteum résonnait de gaieté, d’amour simple et pur pour la musique. Un hommage ! Et pas seulement à Mozart » (p.140-141).
Raphaël Jérusalmy écrit, dans Libération du 6 mai : « (…) Mais aussi revanche, ce drôle de bouquin. Sur l’injustice partout. Et sur notre impuissance. Toujours prétextée. Troisième Reich. Otto Steiner, un veuf tuberculeux, mal luné, va faire entendre sa voix malgré tout, avoir un impact. Et sauver la musique ».
Anne Morin
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