Que ton règne vienne, Xavier de Moulins
Que ton règne vienne, février 2014, 220 pages, 18 €
Ecrivain(s): Xavier de Moulins Edition: Jean-Claude Lattès
Saint-Exupéry disait qu’un livre est achevé quand il n’y a plus rien à retirer. Xavier de Moulins a parfaitement réussi cet exercice et nous propose un roman sobre sans être dépouillé. Ses phrases courtes donnent le rythme qui convient à l’histoire qu’il nous raconte et dans laquelle il nous entraîne. Il y a de très belles pages comme la 155. C’est l’histoire de gens ordinaires, sans pathos, sans fioritures inutiles, sans surcharge. Ce qui leur arrive pourrait nous arriver et pourtant on n’a pas envie de lâcher, on s’y attache. L’alternance des chapitres datés font passer du présent, date de la reconstruction de Paul, à son passé et aux évènements qui l’ont conduit à sa dégringolade. Jusqu’à la page 150 on attend, on espère un basculement, une tragédie, enfin un de ces rebondissements qui relance. Il viendra. On le pressent, puis on se dit que non, puis finalement, que si, c’était bien ça. La construction est donc réussie.
Le roman commence par l’enterrement du père, première rupture avec un être présent, attentif, soucieux de la vie de son fils unique et de ses petits-enfants. C’est donc un père comme il y en a tant. Seconde rupture, Ava, la femme qui lui a donné deux enfants le quitte. Scène de la vie ordinaire là encore. Pourtant, ils se sont tant aimés. Un coup de foudre ! Alors que quelques pages plus tôt (page 110) l’auteur disait que Paul se tenait à distance des passions, dix pages plus loin il change radicalement son comportement. On aurait aimé qu’il nous dise un peu mieux pourquoi un désir soudain et violent balaie tout. On s’en doute, bien entendu, on sait comment ça fonctionne, mais pour Paul on aurait aimé savoir comment il vivait son renoncement.
Le roman est parsemé de ruptures (jusqu’aux finales pour lesquelles il faut laisser la surprise). La mère d’Oscar, son ami d’enfance, l’architecte de la reconstruction de Paul, s’enfuit et ne réapparaîtra qu’au mariage de son fils. Les parents de Paul au bord d’un divorce qui ne se fera pas, mais la rupture est consommée. Le départ d’Ava et ses enfants qu’il voit trop peu. Le divorce d’Oscar dont le mari ne supporte pas que la mère porteuse ait accouché d’une fille (Xavier de Moulins aurait-il sacrifié à l’actualité du mariage homosexuel ?)
La question qui est posée est la suivante : un fils peut-il grandir sans « tuer » le père ? Du père et du fils, adulte et avancé dans la vie, qui est le souverain régnant ? Le fils doit devenir le père, prendre cette place qui lui revient de droit. Paul se nourrit-il des ruptures environnantes pour trouver sa place ? On souffre avec Paul de sa solitude qui n’est pourtant pas inscrite en lui, qui est le produit du parcours des autres, le fruit des chocs de la vie.
Page 95 on relève « c’est pourtant seul et dans l’obscurité que tout s’achève ». L’auteur est généreux, il semble plutôt que ce soit « seul et dans l’obscurité que tout se déroule ». Il nous le dit quelques pages plus loin (p.109) : « à deux c’est chacun pour soi ». Contradiction ?
Le soutien inconditionnel d’Oscar et une autre femme seront les catalyseurs de la renaissance de Paul, mais la blessure est là et elle ne cicatrisera pas de si tôt.
Que ton règne vienne est un bon roman à conseiller à ceux qui ne dépriment pas, parce que les histoires de ces personnages ne provoquent pas un optimisme guilleret.
Gilles Brancati
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