Première à éclairer la nuit, Jocelyne Desverchère
Première à éclairer la nuit, octobre 2016, 140 pages, 9 €
Ecrivain(s): Jocelyne Desverchère Edition: P.O.L
Ce court roman saisit d’abord par le vocabulaire et la syntaxe minimalistes en parfait accord avec les personnages : « Je n’ai connu que le sud, Marseille, Aix-en-Provence, au-delà je n’ai jamais rien imaginé » dit le narrateur. Il finit par renoncer à aller voir les putes. Son histoire aussi est simple. Une histoire d’adultère si l’on veut avec des allers mais aussi des retours. Tout lecteur (ou lectrice) avec un peu d’honnêteté peut s’y retrouver. Les prénoms changent : mais pas vraiment les histoires d’amour. Tout est à la fois dit sans fards et en demi-teinte. C’est une histoire de gens simples : nous. Sans le moindre jugement et sans bobos chics mais en d’incisives syncopes. On passe d’un détail à l’autre de manière sèche. Rien à ajouter puisque tout est dit.
Le lecteur balance entre deux désirs. L’horizon du corps soudain est et n’est pas. L’amour délimite, donne son contour, étend un temps des pouvoirs qui se contrecarrent. On ne sait plus qui imprègne qui. Quel est l’être ? Quel est son esprit ? Quel être est donc le bon puisque soudain deux qui se rencontrent ne peuvent pas vraiment se « superposer » ? L’amour est et n’est pas. Il est en n’étant pas sinon ce qui lui échappe et qui le marque et le couvre et semble veiller sur lui jusqu’à ce que la femme ou l’homme après s’être abandonné à sa force, s’en dégage.
L’amour devenu chair provoque son évitement, sa disparition. Il s’empare d’abord du corps, le cannibalise jusqu’à devenir encombrant, ce qui n’empêche pas une certaine clémence et des accords tacites pour que le réel soit vivable loin du simple drame ou de la comédie. En filigrane la jeune romancière rappelle que la fiction n’est pas le corps, le mot n’est pas la chose, tout comme l’art n’est pas la vie. Le livre lui non plus n’est pas la vie. Mais il s’en rapproche pourtant.
C’est pourquoi si tout roman est illusion, celui-ci n’est en rien une chimère. Il est dérisoirement épiphanique au sein même de destins troubles et troublants. Lieux du rien et du tout, l’écriture fait signe en ouvrant sur un regard d’attente et en attente des aventures qui finiront encore dans le passage d’une frontière qui à l’inverse de la ligne d’horizon ne recule pas toujours. Le roman nous engage ainsi dans une dimension qui jusque-là nous échappait et que pourtant nous connaissons trop bien.
Jean-Paul Gavard-Perret
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