La mission Coupelle, Jean-Benoît Puech (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Edition: Fata Morgana
Jean-Benoît Puech : double je
Jean-Benoît Puech sort la littérature de ses tuyaux comme il sort l’écrivain de ses conduites forcées, par une ironie générale portée à son statut. Il a inventé un auteur (Benjamin Jordane), a écrit ses textes et a même créé un colloque à son sujet et une exposition à Paris et Dijon.
Cette « goutte de cruauté », chère à Nietzsche, envers le statut d’écrivain, devient un océan qui ne cesse de grandir et auquel ce père putatif d’un fils incestueux (puisqu’il couche au besoin avec la compagne du premier) ajoute une nouvelle aux accents exotiques là où deux officiers s’entretuent au nom d’un missionnaire légendaire et au long cours. S’y ajoute une belle réflexion en réponse à une question au sujet de la « vraie vocation » de l’écrivain. Elle entraîne sur les pistes aléatoires de l’interprétation lorsque celle-ci est victime du mirage des sources de la création.
Existe une « scripturographie » qui devient la procédure pour extraire l’écrivain de son piédestal et l’autobiographie sa pseudo-évidence. Jordane, en ses traques successives, en représente le symptôme afin de modifier la perception de l’espace littéraire. Naissent ce que Deleuze nomme des « pensées nomades » dans une suite de works in progress dont les fragments ou plutôt les pièces presque autonomes déverrouillent la porte des secrets de l’écriture.
Elle ose le rêve d’extraterritorialité de ce qu’elle est en ce cadre décadré. C’est dans ces tentatives réitérées que le travail de Puech fascine. Par ce pacte d’impiété avec lui-même et le monde, l’auteur génère une sorte de jouissance qui nous sort de ce que Baudelaire appelait, dans une lettre sur l’esthétique adressée à Th. Gautier, un éternel ennui, un bâillement qui pourrait avaler le monde. L’œuvre glisse vers une post-postmodernité où l’idée de l’auteur ne détient plus – du haut de ses cimaises – le rôle historique qu’on lui a trop accordé.
Jean-Paul Gavard-Perret
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