L’ours est un écrivain comme les autres, William Kotzwinkle (2ème article)
L’ours est un écrivain comme les autres (The Bear Went Over the Mountain), octobre 2014, traduit de l’anglais (USA) par Nathalie Bru, 304 pages, 22 €
Ecrivain(s): William Kotzwinkle Edition: Cambourakis
L’ours est un écrivain, et réciproquement…
Avec ce roman, William Kotzwinkle nous offre un de ces gueuletons littéraires dont la littérature américaine a peut-être le secret, même si elle n’en a pas l’exclusivité. Un roman foisonnant, drôle et « déjanté » – comme l’on dit aujourd’hui – qui tient à la fois de la farce, de la tragédie, de la critique sociale, de l’absurde élevé au rang de logique implacable et – sans doute avant tout cela – du bonheur de l’écriture qui éveille irrésistiblement le bonheur de la lecture.
Arthur Bramhall est un universitaire pas trop brillant qui se rêve écrivain et, à l’image de son créateur, il s’est isolé dans un coin reculé du Maine pour « se réaliser » dans l’écriture. Pas vraiment inspiré il commence par plagier un best-seller, mais – peut-être heureusement pour sa réputation – le manuscrit partira en fumée dans l’incendie de sa cabane du Maine. Le coup est dur et la seule solution est de s’y remettre, de ré-écrire un nouveau roman…
L’auteur s’y remet, et achève enfin son œuvre. Fort de sa première expérience avant de l’envoyer à l’éditeur, voulant prendre le temps de célébrer la réussite, il va mettre le précieux livre à l’abri, dans une mallette enterrée au pied d’un arbre… Un ours très curieux va s’emparer du manuscrit et se découvrir un désir et un talent d’humain et surtout d’écrivain… Le nouvel auteur de Désir et destinée, qui a pris le pseudonyme de Dan Flakes, a déniché et « produit » un vrai best-seller et va trouver les personnes qu’il faut pour en assurer le succès littéraire et commercial, même s’il n’est, au fond comme en entier, qu’un ours. Un ours dont les agents littéraires, éditeurs, critiques, animateurs télé, trouvent qu’il est vraiment fantastique, une sorte de nouvel Hemingway, par ses manières. Surtout par ses manières car pratiquement aucun d’entre eux n’a lu une ligne du livre qu’il n’ont de cesse d’encenser. Pas de doute, l’ours Dan est un personnage atypique et terriblement vendeur, d’un charisme puissant et d’une séduction sauvage, presque animale. Un auteur auxquel femmes et hommes succombent pareillement. De son côté, durement ébranlé, le vrai auteur redécouvre le sens de la vie, sauvage et première, celle que connaissent si bien les ours, justement…
Il y a dans ce roman – qui n’est pas que loufoque, loin s’en faut – un joyeux jeu de massacre du monde littéraire et de sa faune si imbue d’elle-même. D’un puissant coup de patte, l’auteur projette tout ce beau monde sur la table de dissection du roman, tel un ours qui projette les saumons hors de la rivière d’un rapide et décisif revers et les laisse le ventre à l’air sur le sable ou les galets, s’agitant inutilement pour retrouver leur milieu naturel. Au delà de la caricature qui fait mouche, il y a aussi un récit sur l’incompréhension qui peut exister entre des humains qui se parlent sans vraiment s’écouter. L’ours Dan Flakes est en effet un peu comme le Mister Chance de Jerzy Kozinski, ce simple d’esprit dont tous les propos sont interprétés comme des maximes pleines d’une profonde sagesse, d’une lucidité sur le monde sans égale (Being There, traduit comme La Présence ou Bienvenue Mister Chance, magiquement joué au cinéma par Peter Sellers). Là aussi, que ce soit dans les négociations éditoriales ou lors des interviews, l’expression pauvre de Dan, qui connaît mal les habitudes et le langage des humains, est à chaque fois interprétée, traduite et retraduite, lui faisant dire ce que chacun a plus ou moins envie d’entendre, jouant jusqu’à l’absurde des ambigüités et des lacunes de la langue et du langage. On peut aussi encore lire dans ce roman qui nous attrape dès la première phrase pour ne plus nous lâcher, une mise en jeu de toutes les constructions identitaires dans lesquelles nous essayons de nous glisser ou dans lesquelles notre entourage veut nous faire entrer, bon gré mal gré.
Un livre drôle, qui se dévore en riant, et qui dans le rire nous montre aussi comment nous vivons ou essayons de vivre, sans être jamais tout à fait sûr de bien être ce que l’on croit ou voudrait croire. Si vous ne connaissiez pas cet écrivain, William Kotzwinkle, ne ratez pas l’occasion de le découvrir, vous ne devriez pas le regretter ! Pour ma part, ce fut une sacrée découverte et un sacré plaisir de lecture et je m’en vais faire comme l’ours de la comptine qui sert d’exergue au roman : aller voir de l’autre côté de la montagne pour en lire un peu plus (outre les romans, quelques « novellisations » de scénarii – dont E.T. – ou littérature jeunesse – Walter le chien qui pète – et bien sûr quelques recueils de nouvelles, genre majeur outre Atlantique… près d’une cinquantaine de publications au total).
The bear went over the mountain
The bear went over the mountain
The bear went over the mountain
to see what he could see...
Marc Ossorguine
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