Frère d’âme, David Diop (par Stéphane Bret)
Frère d’âme, août 2018, 175 pages, 17 €
Ecrivain(s): David Diop Edition: Seuil
On l’admet maintenant après avoir minimisé ou même carrément occulté cette réalité historique : les Africains, et plus généralement tous les indigènes de l’empire colonial français, ont combattu pour la France durant les deux guerres mondiales.
David Diop, romancier sénégalais, livre dans Frère d’âme non pas un témoignage de combattants originaires de l’Afrique noire, mais le ressenti de deux tirailleurs sénégalais, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, face à la guerre, face à leur supérieur hiérarchique, le capitaine Armand. Cette remémoration de leur condition de combattants se révèle alors loin d’être anodine, très éloignée des clichés que l’on entretenait alors couramment à propos des sujets de l’empire. Ainsi, la sauvagerie, caractéristique selon ces vues, des Africains est-elle en quelque sorte retournée à l’envoyeur :
« Quand on leur commande de sortir de la tranchée protectrice pour attaquer l’ennemi à découvert, c’est “oui”. Quand on leur dit de faire les sauvages pour faire peur à l’ennemi, c’est oui (…)Le capitaine leur a dit que les ennemis avaient peur des Nègres sauvages, des cannibales, des Zoulous, et ils ont ri ». Alfa Ndiaye tire parti de ce défi en songeant à ses propres valeurs, à sa fierté d’Africain, à la logique de ses propres observations : « Mais moi, Alfa Ndiaye, j’ai bien compris les mots du capitaine (…) La France du capitaine a besoin que nous fassions les sauvages quand ça l’arrange (…) La seule différence entre mes camarades les Toucouleurs et les Sérères, les Bambaras et les Malinkés, les Soussous, les Haoussas, les Mossis, les Markas, les Soninkes, les Senoufos, les Bobos, et les autres Wolofs, la seule différence entre eux et moi, c’est que je suis devenu sauvage par réflexion ».
Tout le roman de David Diop révèle alors son intérêt, sa spécificité dans la manière dont le récit est conduit. Dans la seconde partie, Alfa est évacué à l’arrière pour cause de blessure et il se remémore alors son passé en Afrique : le rôle de son père dans la décision de ne pas participer au commerce de l’huile d’arachide, la description des mœurs et coutumes des Peuls, la décision de Fary Thiam, sa future épouse, de se donner à lui, juste avant son départ pour le front. « Fary m’aimait plus que l’honneur de son père qui n’en avait pas ».
Un roman qui administre, sobrement, efficacement, une leçon éternelle : ne jamais oublier d’où l’on vient, qui on est. Pour ne pas sombrer, ne pas céder à l’adversité.
Stéphane Bret
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