Écrits stupéfiants, Drogues & littérature d’Homère à Will Self, Cécile Guilbert (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Écrits stupéfiants, Drogues & littérature d’Homère à Will Self, Cécile Guilbert, septembre 2019, 1440 pages, 32 €
Edition: Robert Laffont
Drogue et Littérature ou les poisons du rêve
Entre enfer et paradis, produit et dose, Cécile Guilbert rappelle que la drogue offre une dualité. Il y a là extase et souffrance. Les adjuvants illicites font sombrer mais aussi ils sont capables d’ouvrir des portes (particulièrement les psychédéliques). La drogue est donc souvent au seuil de la littérature et ce, depuis la poésie védique et donc quasiment les origines de l’humanité. Mais les écrivains s’en servent véritablement beaucoup plus tard.
Cécile Guilbert nous rapproche de lieux étranges voire – comme Michaux – des « rencontres avec les Dieux », bref d’un ailleurs inatteignable – source de savoir ou paradis. La mesure de l’être est donc métamorphosée par le « poison noir » de l’Opium qui provoque « la rencontre de Pommard et du Pernod » selon Cocteau qui est bien plus qu’un dandy de la drogue auquel il fut réduit. La drogue est souvent une esthétique qui dilate le temps. Et Cécile Guibert fait le tour de la question dans une classification judicieuse abondamment illustrée de textes significatifs.
L’opium et le laudanum sont sans doute les plus littéraires des drogues. Baudelaire et Quincey le prouvèrent dans des déblocages de l’Imaginaire propre néanmoins à chaque écrivain.
Les empyrées ou les enfers sont donc plus complexes de ce que l’on en dit. Et leur choix différé suivant les écrivains. Michaux sera plus proche du haschisch, Quincey de l’opium dont il vante les forces de « baume et rébellion qui donne à l’homme un oubli orgueilleux (…) et les clés du paradis ». Au-delà de la volupté et du chagrin, au-delà des raisons thérapeutiques, de Charlotte Brontë pour laquelle la drogue est sujet de roman, à Cécile Guibert elle-même, les paradis artificiels – morphine comprise – sont à la base d’œuvres majeures qui ne concernent pas qu’une bohème littéraire même si les femmes qui y succombèrent furent traitées de dépravées à la fin du XIXème siècle.
Tout un monde du franchissement de l’interdit et des limites s’anime dans ce superbe livre-somme et anthologique. Il remplit un chaînon manquant à qui veut comprendre la littérature principalement des XIXe et XXe siècles, de Baudelaire à Artaud comme chez beaucoup d’oubliés (Farrère ou Magre par exemple « seul poème de l’opium » selon l’auteure).
Se sont créées sous un tel joug des œuvres aux implications bien différentes et loin des caricatures sociales ou des appréciations de Breton, ou d’Aragon lorsqu’il s’élève contre les drogués du « Grand Jeu », qui y trouvèrent une métaphysique hors des raisons raisonnantes.
Jean-Paul Gavard-Perret
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