Ciao connard, Florian Eglin
Ciao connard, mars 2016, 139 pages, 15 €
Ecrivain(s): Florian Eglin Edition: La Grande Ourse
Le titre du livre ne dit pas tout, loin s’en faut, il n’est en fait qu’une des réparties de l’un des deux protagonistes. C’est un huis clos, mais un huis clos bien singulier, puisqu’il réunit un bourreau et son supplicié. Et ce tête-à-tête a lieu dans une bibliothèque qui est celle du supplicié. « Connard » est le mot qu’emploie le supplicié pour désigner, à plusieurs reprises, son bourreau.
Le début du récit se situe au moment où le narrateur nous apprend que son ventre, sa « cavité abdominale », est ouvert et partiellement délesté d’une grande partie de son contenu, ses intestins, qu’il décrit par le menu. L’absurdité de la situation est accrue par la capacité du narrateur à décrire ses intestins, posés sur une table à côté de lui, puis d’autres organes qui seront tranquillement prélevés au fur et à mesure de l’évolution de ce qui apparaît comme une expérience. Le bourreau suit en fait les indications que précise un livre, celui d’un auteur qui a lui aussi commis ce type d’expérience. Le foie sera particulièrement apprécié, puisque qu’il sera préparé pour être dégusté…
Jusqu’ici, le narrateur ne semble pas trop inquiet, même si la douleur est parfois présente. Non, mais cette inquiétude se précise quand son visage sera l’objet qui sera privilégié, et après la cavité abdominale on semble passer à un degré supérieur. « Crispé à mort, il a bloqué fermement ma tête avec son bras gauche. Contre ma figure, je sentais sa musculature nerveuse qui formait comme un nid d’orvets affolés par un feu de forêt, un brasier mortel ». Et le bourreau va lui découper une paupière, pour « ne pas perdre une miette de ce qui va suivre ». La suite, ce sera l’œil qui sera délogé de son orbite, et un travail minutieux pour dégager le tour de l’orbite. « D’un geste à la fois chirurgical et caricaturiste qui aurait fait pâlir bien des spécialistes en ces doctes matières-là, en une superficielle mais pénible exérèse, il me découpa entièrement la paupière ».
Ce chirurgien très singulier s’entretient après avec un interlocuteur au téléphone : « Oui, oui, j’ai fait comme dans la recette, j’ai tout enlevé, dans l’ordre. L’œil ? C’est une vieille affaire qui remonte au premier livre, je me suis juste permis d’en rajouter un peu. Je considère ça comme une sorte de licence poétique ou des droits d’auteur en nature ». L’absurdité de la situation est telle que l’aspect barbare des différentes ablations s’efface souvent, sans doute pour réapparaître, mais tout est construit de manière à n’être pas englué dans le sang et les organes qui sont déposés hors du corps au fur et à mesure de leur extraction. Le raffinement du bourreau dans ses gestes se concrétise aussi par l’outil privilégié qu’il utilise : un stylo plume japonais de marque, dont la plume aura servi à découper le ventre et aux différentes « opérations » qui ont suivi, aux tortures raffinées, absurdes et recherchées.
L’éditeur qualifie ce court roman noir de « psycho déjanté », qualificatif approprié, qui confine tant à l’absurde et à l’humour qui tient une place importante.
Guy Donikian
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