Chroniques du bord du monde, Histoire d’un désert entre Syrie, Irak et Arabie, Vincent Capdepuy (par Patrick Devaux)
Chroniques du bord du monde, Histoire d’un désert entre Syrie, Irak et Arabie, Vincent Capdepuy, mars 2021, 480 pages, 23 €
Edition: Payot
Intéressantes et documentées chroniques où l’auteur nous rappelle que « les blancs des cartes sont aussi souvent des blancs de l’Histoire, à la lisière parfois de hauts lieux comme Damas ».
Le désert a fait les hommes et les peuples parfois mouvants comme les sables qui en révèlent la matière principale. L’Histoire des peuples est semée d’embûches et d’utilisations diverses rendues pratiques dans le quotidien quand, par exemple, des colonnes antiques sont intégrées au bâti récent.
C’est que l’Histoire, comme le sable, a ses propres et parfois regrettables, mouvances : « L’objectif de ce livre est une tentative de se décentrer en mettant la focale sur la steppe, la badiya, sans qu’on attribue nécessairement une identification précise aux populations qui l’ont habitée : Bédouins, Arabes, Saracènes, Araméens, ou je ne sais quel autre ethnonyme ».
« Le bord du monde », à cheval entre Syrie, Irak et Arabie, a son vécu prenant et notamment avec le contexte pétrolier, une vocation économique essentielle et préoccupation majeure de l’Occident. Avec aussi l’automobile, le paysage s’en trouvera définitivement bouleversé : « Roland Dorgelès conclut par cette formule digne d’une archéologie du futur : « Nous sommes à l’âge du fer blanc ».
Certains actes et prises de décision politiques ont amené à la situation actuelle : « Enfin un accord fut conclu en mai 1920 et une borne élevée près d’Abou Kemal pour marquer la nouvelle frontière entre la Syrie et l’Irak ».
Progressivement la cause du nomadisme se fait jour : « Le Bédouin constitue un anachronisme qui ne pourra faire que s’accentuer à mesure que les Etats du mandat français ou européen se développeront et rentreront dans le cadre de la vie sociale des Etats occidentaux ».
L’ouvrage fourmille de références, de cartes et d’extraits de documents historiques. On a ainsi en continu l’histoire des Bédouins tiraillés entre plusieurs pays, leurs récoltes même ayant été occidentalisées. Chaque chapitre du livre est presque un livre dans le livre tant les sujets abondent dans cet ouvrage de presque 500 pages où l’archéologie, également, est mise en évidence dans le contexte des peuples occupant les sites.
De grands thèmes humains comme l’esclavage (interdit par les Britanniques il se poursuivit parfois entre tribus) sont également mis en évidence de même que parfois d’étonnantes évocations agricoles quand l’auteur nous apprend que les truffes blanches (« les Kammès ») étaient prisées pour être une spécialité du désert, certains suggérant qu’il s’agit là de la « manne » décrite dans la Bible, truffes prisées jusqu’à notre époque et qui firent même des victimes avec des personnes enlevées par Daech en 2019 lors d’une cueillette.
Palmyre, bien sûr, fait l’objet de commentaires à l’instar du livre Palmyre, de Paul Veyne, cet autre auteur amoureux de la mythique cité soumise au tragique destin de ces dernières années, Vincent Capdepuy ajoutant lui : « Palmyre associée à la reine Zénobie qui au 3ème siècle de notre ère défia l’Empire romain – beaucoup plus qu’à Belkis – était un véritable fantasme ».
On notera encore le rôle de la femme dans ces sociétés du désert : « Les femmes, dans la société bédouine, peinent bien plus que les hommes. En fait l’essentiel du travail leur incombe : elles vont chercher de l’eau, ramassent le bois, font la cuisine, traient les chamelles, chargent les tentes sur le dos des chameaux au moment du départ… ».
L’Histoire du désert est très ancienne entre nomadisme et sédentarité progressive et/ou épisodique : « Les hommes qui étaient partis étaient des chasseurs-cueilleurs, ceux qui revinrent étaient des agriculteurs. Plusieurs éléments laissent penser qu’ils maîtrisaient l’irrigation ».
Pour passionnés d’Histoire, d’archéologie, histoire humaine et même de poésie, plusieurs textes de différentes périodes étant insérés dans cet abondant ouvrage. Jean de Joinville, déjà, à l’époque des croisades, lors d’un séjour en Terre sainte entre 1248 et 1254 fait référence aux Bédouins dans ce classique de la littérature médiévale qu’est La Vie de Saint Louis : « Les Bédouins ne demeurent ni dans des villages ni dans des cités, ni dans des châteaux, mais ils couchent toujours dans des champs. Et ils installent leurs serviteurs, leurs femmes, leurs enfants, le soir pour la nuit, ou de jour quand il fait mauvais temps, dans des sortes de tentes qu’ils font avec des cercles de tonneaux attachés à des perches /…/ et sur ces cercles ils jettent des peaux de mouton que l’on appelle peaux de Damas, préparées dans l’alun ».
Patrick Devaux
Vincent Capdepuy, né en 1977, est enseignant du secondaire, géohistorien & cartographe français. En 1998 et 1999, il passe une maîtrise d’archéologie sous la direction de René Treuil à Paris I Sorbonne. De 2001 à 2003, un DEA d’archéologie sous la direction de Jean-Claude Margueron à l’École pratique des hautes études.
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