C’est tout, Marguerite Duras
C’est tout, Marguerite Duras, 55 pages
Ecrivain(s): Marguerite Duras Edition: P.O.L
Le 5 octobre 1995 paraît aux éditions P.O.L. le dernier livre de Duras, constitué de propos recueillis par Yann Andréa, son compagnon : C’est tout.
Avant et maintenant c’est l’amour entre toi et moi.
Y.A. : Et après la mort, qu’est-ce qui reste ?
M.D. : Rien. Que les vivants qui se sourient, qui se souviennent.
Y.A. : Vous vous préoccupez de quoi ?
M.D. : D’écrire. Une occupation tragique, c’est-à-dire relative au courant de la vie. Je suis dedans sans effort.
Y.A. : Vous avez un titre pour le prochain livre ?
M.D. : Oui. Le livre à disparaître.
J’ai voulu vous dire
que je vous aimais.
Le crier.
C’est tout.
M.D. : J’ai beaucoup aimé danser.
Y.A. : Pourquoi ?
M.D. : Je ne sais pas encore.
Laissons faire si tu veux.
Encore pour quelques jours d’attente.
Tu me demandes attente de quoi, je réponds : je ne sais pas.
Attendre.
Dans le devenir du vent.
Peut-être demain je t’écrirai encore.
Je n’ai plus aucune notion sur ce que je croyais savoir ou attendre de revoir.
Voilà, c’est tout.
Quelquefois je suis vide pendant très longtemps.
Je suis sans identité.
Ça fait peur d’abord. Et puis ça passe par un mouvement de bonheur. Et puis ça s’arrête.
Le bonheur, c’est-à-dire morte un peu.
Un peu absente du lieu où je parle.
Les baisers de vous, j’y crois jusqu’à la fin de ma vie.
Au revoir.
Au revoir à personne. Même pas à vous.
C’est fini.
Il n’y a rien.
Il faut fermer la page.
Viens maintenant.
Il faut y aller.
M.D., à la fin,
tu écris
des bouts
de phrases
avec le souffle.
Des bouts
de quelque
chose.
Des bouts
de semelles
pour courir
à même
le vent.
Des bouts
de laines.
Des bouts
de chiffons.
Des bouts
de craie
de couleurs.
« Si minuscules […]
que même les doigts
d’enfants
ne les saisissent plus »,
comme l’écrit Quignard
dans Sordidissimes,
parlant d’autre chose.
Aujourd’hui,
tu renverses,
avec l’aide
de Y.A.,
un saut
de peinture
blanche
sur le froid
de la journée.
Froid sur
froid.
Ou plutôt
froid
contre froid,
tout contre.
On est
saisi.
Matthieu Gosztola
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