Amour sur le rivage, Michal Govrin
Amour sur le rivage, Traduit de l'hébreu par Laurent Cohen octobre 2013, 373 pages, 24 €
Ecrivain(s): Michal Govrin Edition: Sabine Wespieser
Ce pourrait être la description d’un banal coup de foudre sur une plage en été, une péripétie tout juste susceptible d’imprimer un agréable souvenir dans une vie ordinaire. Le roman de Michal Govrin se passe en Israël au début des années soixante.
Esther Weiss, jeune apprentie en sténographie et dactylographie, vient de terminer sa scolarité dans une école religieuse ; elle va partir à l’armée. Pour fêter cet événement, elle s’achète en secret une robe à bretelles, qui la dénude, un peu, et se rend au dancing de la plage à Ashkelon, nouvelle cité du littoral méditerranéen du jeune état. On y écoute Paul Anka, Alain Barrière, Put your head on my shoulder, Elle était si jolie. Au bar de ce dancing, un jeune homme, arrivé de Paris, boit un Campari ; il s’appelle Moïse Derand. Sa présence se justifie par la cérémonie de l’enterrement de sa mère.
Derrière le comptoir se tient Alex Morgenstern, barman de l’établissement. Il suit le regard de Moïse, individu qui lui rappelle sa ville natale Buenos Aires. Mais le décor est loin d’être aussi idyllique et paisible qu’il n’y paraît : Israël à cette époque est un pays loin d’être sécurisé. Les incursions et infiltrations de Fédayins aux frontières y sont fréquentes, on vit encore dans leur hantise. Les habitants d’Ashkelon sont rappelés au passé par la présence d’une zone archéologique, par les vestiges d’un ancien souk qui rappelle accessoirement que la population était arabe il y a à peine quelques années. C’est aussi l’époque du procès Eichmann, enlevé par les Israéliens, qui rappelle à tous la Shoah.
Il y a dans ces trois personnages une volonté commune de s’émanciper, de se libérer d’un passé parfois trop lourd à porter. Pour Esther Weiss, c’est l’héritage familial : l’arrivée de ses parents en Israël, parsemée d’embûches, de drames, d’attentes à travers des camps de transit en Europe, à Chypre, avant l’arrivée finale en terre promise. Ses parents sont pieux, veillent au salut moral de leur fille, qu’ils surnomment avec affection Estherleh.
Pour Moïse, c’est l’abandon de son Maroc natal, qu’il peine à résorber et à surmonter. Il pense, sans remords, à son épouse Catherine, restée en France, à l’état de leur couple, très précaire. Alex, pour sa part, a nourri des idéaux révolutionnaires en arrivant en Israël. Etait-ce pour compenser la culpabilité éprouvée par son père Léon Morgenstern, psychanalyste à Buenos Aires, à cause de son mariage quasi obligé avec Hanka, rescapée de la guerre.
La volonté de circonscrire cette culpabilité, le désir de commencer une nouvelle étape de leur vie font se rencontrer Moïse, Esther, Alex, à cette terrasse de dancing d’une plage israélienne. Ils découvrent, au fil du livre, que leurs parcours respectifs se relient à l’histoire, la grande, par des allusions, des retours en arrière sur la rafle du Vel d’Hiv, sur la guerre d’Indépendance de 1948, sur le passé de l’Argentine, qui a accueilli des réfugiés juifs et servi, aussi, de filière d’évasion aux nazis.
Le récit est un peu long à mettre ces faits et ces vies en relations les uns avec les autres, mais il parvient, malgré tout, à illustrer le caractère prégnant de ces liens.
Stéphane Bret
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