La Styx Croisières Cie (X) Octobre 2019 (par Michel Host)
Ère Vincent Lambert, An I
Humain, citoyen le plus vulnérable, la République française, la médecine, la banque et la magistrature réunies, t’ayant baptisé Légume, te tueront.
« Une maison de paysans des environs de Varsovie. Plusieurs paysans sont assemblés. (…) La porte est enfoncée, Ubu pénètre suivi d’une légion de Grippe-sous ».
« Père Ubu : Qui de vous est le plus vieux ? (Un paysan s’avance) Comment te nommes-tu ?
Le paysan : Stanislas Leczinski.
Père Ubu : Eh bien, cornegidouille, écoute-moi bien, sinon ces messieurs te couperont les oneilles. Mais, vas-tu m’écouter enfin ?
Stanislas : Mais votre excellence n’a encore rien dit.
Père Ubu : Comment, je parle depuis une heure. Crois-tu que je vienne ici pour prêcher dans le désert ?
Stanislas : Loin de moi cette pensée.
Père Ubu : Je viens donc te dire, t’ordonner et te signifier que tu aies à produire et exhiber promptement ta finance, sinon tu seras massacré. Allons, messeigneurs les salopins de finance, voiturez ici le voiturin à phynances (On apporte le voiturin).
Alfred Jarry, Ubu Roi, Acte III, Sc. IV
Jules de Montalenvers de Phrysac, noté dans le Livre de mes Mémoires
Lµ-1. Où Alfred Jarry décrit avec exactitude ce qu’est le discours ordinaire du politicien lorsqu’il s’adresse au vain peuple, aux gens d’en bas, à « ceux qui ne sont rien ». Il prétend avoir parlé quand il n’a encore rien dit. Ou il a parlé et n’a pas été entendu, soit que ses paroles aient été creuses, soit que son langage ait excédé les capacités d’entendement d’un public qui ne le pratique pas d’ordinaire. Dans le cas du Père Ubu, cette seconde hypothèse n’est pas de mise. Le but est d’épouvanter le public par d’effroyables menaces, de le laisser dans un tel état d’anxiété qu’il abandonnera au tyran spoliateur la dernière pièce de monnaie qu’il garde dans sa poche. Qu’on veuille se souvenir de notre temps et des menaces dont usent les fonctionnaires de Bercy lorsque vos déclarations d’impôts semblent témoigner de l’oubli de quelques centimes d’euros dans vos gains annuels. Récemment, grâce à la science informatique, on vous décharge du souci de la « déclaration » pour puiser directement dans votre compte bancaire ou votre bulletin de salaire. Cette opération magique et indolore a nom prélèvement à la source. À la source, sainte mère de Dieu ! C’est du Virgile ! Du Ronsard mâtiné de Sully Prudhomme ! Du Lamartine… C’est le Hugo des « Contemplations » !
µ-2. Élisabeth Lévy ouvre ainsi son article (dans Causeur) au sujet d’Éric Zemmour, journaliste et polémiste sur qui la meute des Jivaro-Progressistes se jette avec un appétit unanime : « Tous contre un ! C’est fou comme les robinets d’eau tiède peuvent être haineux. Zemmour n’avait pas encore commencé son discours devant la convention de la droite que tous les petits flics des associations, délateurs numériques et autres vigilants médiatiques étaient aux aguets, se demandant avec gourmandise s’ils trouveraient de quoi demander des interdictions, des censures et des sanctions. Ils ne partagent pas ses idées et ils se battront pour qu’il ne puisse pas les défendre. Vieille histoire chez “les bâtards de Voltaire” ». Admirable réaction d’une journaliste qui, sans partager toutes les idées du mis-en-cause, sait encore ce qu’est la liberté de pensée et d’expression, la simple et pure liberté. Elle sait aussi ce qu’est l’emprisonnement de la pensée libre dans la cage de la pensée unique.
Lµ-3. Reliefs. Ils disent, ils écrivent…
D’un appartement : « Dans cet appartement fabuleux, au dernier étage d’une rue calme, le silence est total dès lors que je débranche tout. Un silence propice au recueillement, à cette espèce d’état nécessaire à la méditation comme à l’écriture. Ce n’est plus vous qui écrivez, alors vous n’êtes plus maître du langage. C’est le langage qui se met à parler à travers vous » (Morgan Sportès, Si je t’oublie).
Sur M. Sportès : « …frappe en effet le regard à tout le moins désabusé qu’il porte sur un monde livré au mercantilisme, où l’ironie des libertins du XVIIIe siècle ne passerait plus, où ne serait plus audible le grand rire, du côté de Dada », que fut avant tout, à ses yeux, le situationnisme auquel il fut mêlé. Bertrand Leclair (Le M. 27/IX/19).
µ-4. Une semaine française (ce 6/X/19)
&. Nous comptons deux ou trois femmes et jeunes filles assassinées aux quatre coins du pays, féminicides s’ajoutant aux précédents. Bien souvent les victimes sont des femmes qui ont voulu se séparer d’un mari ou d’un « compagnon » mal embouché, jaloux et violent. Ces derniers ne supportent pas la femme mais détestent qu’elle les quitte. Alors ils la tuent. Le couteau est leur arme de prédilection. Plus de problème ! La presse ne mentionne plus ces assassinats qu’à titre de faits divers banals. On s’habitue, n’est-ce pas. Le record de l’année dernière sera-t-il battu ? Nous vérifierons cela au 31 décembre. Les paris sont ouverts. On attend un « Grenelle » des féminicides. Depuis deux mois il me semble. Mesures concrètes espérées : nulles. De belles déclarations, de glorieuses protestations. En attendant, le massacre des femmes se poursuit à une cadence d’enfer.
&. C’est à Rouen. Une usine située en pleine ville où l’on travaille les lubrifiants, les adjuvants pour carburants divers – la Maison Lubrizol, créée en 1947, entreprise classée Seveso – explose en provoquant un gigantesque incendie qui ne sera maîtrisé par les pompiers qu’après vingt heures d’efforts. Une énorme colonne noire monte dans le ciel dans une ascension de plus de vingt-trois kilomètres. On ne sait si 5000 ou plus de 15.000 tonnes de produits chimiques divers se sont répandus en fumées sur la ville et dans les campagnes des alentours, à plus de 30 ou 40 kilomètres de distance. Les écoles sont fermées, on demande aux habitants de sortir le moins possible, les paysans et agriculteurs contemplent leurs plants de carottes, leurs prés, leurs foins pour l’hiver et même leur bétail recouverts d’une suie noire et collante. Somme toute, un mini-Tchernobyl non-nucléaire. On ne sait pas encore quels produits ont brûlé ni ce qu’a pu générer leur mélange explosif, rien n’ayant été analysé, que le préfet du lieu proclame : « Ce n’est rien, braves gens. Dormez en paix. Il n’y a aucune raison de craindre quoi que ce soit ». Un petit Tchernobyl, vous disais-je. Rouennais et gens de campagne, moins crédules qu’autrefois, portent plainte contre la direction de l’usine et demandent des comptes à l’État. La justice va entrer dans la partie de poker menteur. Nos responsables, administrateurs, politiciens, fonctionnaires, contrôleurs et autres voudraient qu’on les croie sur parole quand ils s’expriment régulièrement avant de savoir, quand les Benalla, les Ferrand, sont toujours en liberté, jouissant du produit de leurs méfaits, le sourire aux lèvres et avec le soutien et la confiance clairement exprimés du premier ministre et du chef de l’État. Douce France, cher pays… où les escrocs sont aux affaires, les voleurs dans les rues, le peuple des Gilets Jaunes insulté, vilipendé et honni par le ministre de l’Intérieur et le monde des affaires !
§. Un dimanche parisien (le 6/X)
Les policiers, hommes du rang et gradés (commissaires) ensemble, fait exceptionnel, sont dans la rue. Ils défilent pour protester contre leurs faibles effectifs, leurs moyens ridicules, leurs locaux insalubres, l’opprobre dont on les couvre lorsqu’ils ne font que leur travail, les coups qu’on leur assène, les malfaiteurs qu’ils arrêtent et que la justice rend illico à la rue.
Des milliers de personnes assiègent le Sénat qui va promptement devoir accepter ou refuser la loi concernant la Procréation médicalement assistée (PMA), en faveur de toutes les femmes et des couples lesbiens, loi votée par l’assemblée, en pleine nuit, une soixantaine de députés étant présents dans l’hémicycle, presque à la sauvette. Ce que les manifestants reprochent à ce texte, deux choses : vouloir produire contre la loi naturelle des enfants sans pères, aberration dont on ignore les conséquences à long terme ; ouvrir la route à la GPA (Gestation pour autrui) que ne manqueront pas, au nom de l’égalité, d’exiger les couples homosexuels masculins, induisant la location du ventre de femmes porteuses, la marchandisation d’êtres humains, les commerces de la chair humaine et tout un affairisme lucratif proliférant autour de ce « progrès » de la science… Mettre au monde des petits d’hommes bientôt vendus dans des sortes d’animaleries diversement spécialisées dans le type asiatique, noir, blanc, métis diversement pigmentés, mâles, femelles (mais pas trop), clones de telle star, plus rarement de tel ou tel génie de l’époque… Je n’invente rien, déjà certains pays éliminent à volonté et à la demande les fœtus de tel ou tel sexe (le plus souvent féminin). On commande, comme en boucherie ou chez Amazon telle couleur d’yeux, telle conformation physique, etc. Il va de soi que dès lors l’humanité travaillera à son suicide collectif.
§. Les aléas du « vivre-ensemble », ou comment naufrager dans l’inconscience : du 3 octobre au 15 octobre.
Le 3, un fonctionnaire de police nommé Mickaël Harpon prend son poste de travail à la Préfecture de police (PP), à Paris. En fin de matinée il a, à l’aide d’un couteau de boucher, qu’il est sorti pour l’acheter, assassiné quatre de ses collègues qui, comme lui, travaillent à la « direction du renseignement » et aux « opérations de sécurité ». Sorti tout armé dans la cour de la PP, un jeune agent en service depuis une semaine le tue après avoir prononcé les sommations d’usage. Le jeune homme est traumatisé. C’est la stupeur et la sidération dans tous les services et bientôt dans tous les corps de police du pays. Les radios et les autres médias font aussitôt écho à cette affaire hors du commun, comme c’est maintenant la coutume, et dans les termes habituels nous apprenons que l’assassin est un musulman originaire des Antilles, qui souffre de surdité, qui a probablement fréquenté les services psychiatriques et sans aucun doute la mosquée de Gonesse, au nord-est de Paris. On ne sait s’il est radicalisé, autrement dit entré dans le fantasme criminel coranique d’Allah. L’enquête semblera prouver que non. Il aurait donc agi selon une inclination personnelle. Son épouse, interrogée, déclare que dans la nuit précédant les meurtres il aurait « entendu des voix » ! Cela laisse perplexe la France laïcisée au point de n’avoir plus aucune culture religieuse. Lire lui est une corvée. Alors, lire le Coran et les Evangiles, ce qu’elle devrait faire de toute urgence, elle n’y pense même pas. On a découvert une clé USB appartenant au meurtrier qui contient des fichiers concernant ses collègues (leurs adresses personnelles notamment) et divers contenus : qu’allait-il en faire ? Cette clé n’avait-elle d’usage que dans le cadre de sa fonction ? On ne sait. On n’a découvert aucune communication entre lui et les services de l’islam radical à l’étranger, ce qui paraît logique s’il n’agissait que pour son compte et s’il n’était pas (encore) radicalisé. Vengeances personnelles ? Qui sait ? Mais comment a-t-on pu engager dans la police et dans un service aussi proche du renseignement un homme aussi peu sûr, et tout simplement un musulman, fût-il « français », français de papier, mais non de souche ni de cœur, usant de la takiya (le mensonge autorisé devant les non-musulmans) ? Il fut soupçonné de radicalisation par quelques-uns de ses collègues (il ne serrait pas la main des femmes), mais la chose n’est pas allée jusqu’aux oreilles de la hiérarchie et des services compétents comme elle aurait dû. Le vivre-ensemble vient de faire un grand pas dans ce pays d’aveugles et de sourds volontaires. On n’aura entendu les irresponsables du CFCM (Conseil français du culte musulman) se plaindre d’une seule chose : « que les musulmans soient ici stigmatisés » ! Eût-il fallu les réconforter, les consoler, les féliciter eux qui n’ont aucun mot pour personne, sauf à se plaindre de leur sort malheureux.
Les victimes eurent un sort enviable post mortem, celui d’être décorés de la légion d’honneur, la même que l’on décerne à des milliers de médiocres et d’imbéciles. Cela leur fait, à eux et à leurs familles, une belle jambe. En outre, s’ils l’avaient pu, ils eussent entendu le discours de combat et de fermeté du président Micron, un quart d’heure de rhétorique guerrière dont il ne sortira aucun acte, tout le pays le sait, mais il est heureux, il adore les morceaux d’éloquence bravache. Notre islamolâtrie est devenue un vice ancré, une « addiction » mortelle.
Douze jours plus tard, Judas Trump retire les mille militaires américains basés dans le nord de la Syrie. Ce coup de traître laisse les Kurdes de la région aux mains des Turcs d’Adolf Erdogan. Les Kurdes croyaient avoir pour alliés les Américains qu’ils avaient puissamment aidés à vaincre les criminels de l’EI. Les troupes turques entrent dans la zone nord de la Syrie. Leur projet : vider les lieux de ses habitants kurdes, les exterminer au besoin, comme ils firent pour l’Arménie et ses habitants. La conquête guerrière est en marche, comme au XIXe siècle et au début du XXe. Le bon sens l’affirme : quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage. L’humanité n’apprend rien et ne change pas. Près de 200.000 Kurdes sont jetés sur les routes. Les Kurdes en état de se battre ont entamé une résistance désespérée, et par pure nécessité se sont alliés avec la bien faible armée syrienne de Bassar Al Assad, leur ennemi d’hier. Les Européens jappent leur agacement et ne bougent pas d’un pouce. Les cartes sont rebattues, l’ombre du grand Adolf assombrit le Moyen-Orient. On apprend néanmoins qu’Adolf Erdogan vient de mettre un terme à son offensive. Une immense catastrophe reste prévisible.
Les militaires turcs sont servis par des troupes supplétives formées d’Arabes et de l’important résidu des criminels de l’EI résidant encore en Syrie. Voici de quoi sont capables ces émules d’Allah guerrier (paru dans Le M, au 14/X/2019) : « ce samedi a vu aussi le lynchage, toujours par des miliciens pro-Turcs, d’une responsable politique kurde, Havrin Khalaf, 35 ans, célèbre pour ses initiatives en faveur du rapprochement entre Arabes et Kurdes – [… elle] a été capturée sur la route internationale qui relie cette région au nord-ouest de la Syrie, contrôlée par la rébellion. […] les assassins de la trentenaire se sont acharnés sur son corps. “Elle avait la jambe brisée, chair ouverte, les bras couverts de contusions, le corps et les vêtements couvertes de terre comme s’ils l’avaient traînée sur le sol (témoignage de Leïla Mohamed, l’une des personnes chargées à Derek de préparer les corps des “martyrs”). “La moitié de son visage était écrasée à l’intérieur de son crâne, l’autre était reconnaissable. […] Elle avait plusieurs impacts de balles dans la poitrine et dans le ventre, et des brûlures qui tendent à indiquer qu’ils lui ont tiré dessus de près” ». Au crime pur et simple, les partisans d’un islam conquérant, représentants d’Allah sur terre, ajoutent la lâcheté, le sadisme et la cruauté. Nul n’a oublié les crimes abominables de l’EI. Ces gens signent en outre leur total mépris, ou leur peur panique des femmes et de leur parole. Tant que la religion d’Allah engendrera de pareils monstres on ne me fera pas dire que l’islamophobie ne repose pas sur quelques fondements considérables. Tout commença d’ailleurs par l’extermination de deux tribus juives par les troupes du Prophète, et depuis lors cela n’en finit plus. Qu’on en tire les conclusions que l’on voudra. Ne prétendons pas détenir la vérité absolue, mais écoutons ce que nous disent les faits.
µ-5. Les troupes spéciales américaines viennent de mettre un terme à l’existence d’un grand pervers qui se voulut dernier calife et ordonna à Daesh d’assassiner de mille façons et de violer sans frein, publiquement très souvent, des milliers de victimes musulmanes ou non musulmanes : Abou Bakr Al-Bagdadi. À cette occasion, M. Trump le qualifia de lâche (il mourut en fuyant et se suicida avec trois de ses enfants) et de chien. Comme toujours et quoique l’expression mourir comme un chien soit courante en tous lieux de la terre, c’était insulter les chiens, animaux fidèles, qui partout portent secours aux humains en danger de mort, y compris en terres musulmanes lorsque les édifices s’effondrent sous les bombes ou dans les tremblements de terre. Ils ont l’innocence des bêtes, Al-Bagdadi avait en lui la haine et la mort comme tous les cerveaux crétinisés par une religion.
µ-6. Il a dit : « Ne leur pardonnez pas car ils savent ce qu’ils font » (Vladimir Jankélévitch) Comment ne pas acquiescer ?
§. Assez pleuré, rions un peu. Bons mots connus ou moins connus
Du général de Gaulle, à un spécialiste de la démographie inquiet de la baisse de celle-ci, lui disant : « Il faudrait faire des enfants sur une grande échelle ». Le général « Je crains que ce soit assez casse-gueule ! » (rapporté par Jacques Myard, maire de Maisons-Laffitte).
De Jacques Chirac au malotru qui l’aborde en le traitant de « sale con » : « Enchanté ! Moi, c’est Jacques Chirac ».
Titre du Canard Enchaîné (au sujet de l’affaire des policiers assassinés) : « M. Castaner est en voie de ridiculisation ».
*
Lexique de l’écrivain, VII
Méthode : J’en ai peu, et même pas du tout. Je vais, me fixe un horizon. J’y parviens (ou crois y parvenir, car l’horizon est inaccessible) ou n’arrive nulle part. C’est alors une ébauche d’écrit jetée dans un tiroir. Je l’oublie. Un jour ou l’autre je l’en retire, vois ce qu’il fallait faire pour mieux entrer en matière, le fais si j’en ai le goût, ou ne vois rien de mieux et jette définitivement le tout. S’acharner est le plus sûr chemin jusqu’au ravin. Préparer un plan, ou quoi que ce soit de ce genre (sauf pour le genre de l’essai, sans doute, où je suis totalement incompétent) c’est l’autre chemin, celui du canal où je me noierai car je ne connais aucune belle façon de nager dans les mots. Est-ce à dire que j’écris sans méthode ? Peut-être pas de manière irrémédiable. Il arrive qu’une méthode s’improvise en fonction de la nature de l’écrit, que je m’y conforme ou m’en détache, la néglige ou la tiens comme bonne règle pour cet écrit là. Je ne vais guère plus loin, et surtout pas vers un savoir-faire pour le roman, des règles intangibles pour la nouvelle, un système poétique pour mes poèmes. De la méthode, oui, à l’occasion, et avec du jeu dans le jeu. Dans cet espace du jeu, la place reste libre pour la surprise.
Métier (le -) : En avoir me paraît ignominieux. On finit par ne plus rien inventer, imaginer. On se fie aux recettes : recette de roman, recette de la nouvelle. Pour le poème, il n’y a que les recettes de la platitude, donc pas de recettes. Tout cela, c’est de la cuisine littéraire. Cuisine de gargote. On finit par acquérir, au-delà de dix volumes, ce qu’il est convenu d’appeler « du métier ». La plus grande méfiance envers soi-même est alors de rigueur. Mieux vaut partit au Groenland, au centre de la terre… N’envisager d’écrire à nouveau que dix ans plus tard. De toute façon, on écrit toujours trop, et il y a des flopées d’écrits illisibles dans les bibliothèques. J’en laisserai quelques-uns, c’est probable, moi aussi.
Milieu (le -) : Je veux dire celui de la littérature. De la littérature en France et à Paris. C’est, oui, le milieu : bandes idéologiques, stylistiques et autres… Chefs de bande… petits valets de pied… sicaires… De fait, c’est sans importance. J’ai appris non pas à le haïr, il ne le mérite pas. Il est sans honneur alors que les hommes dits du milieu, il y a peu encore, avaient un sens de l’honneur bien à eux. Je m’en suis éloigné, voilà tout.
Modestie : Il en faut une, mais tout intérieure. Savoir qui l’on est, ce que l’on peut, ce que l’on ne peut pas, ce que l’on fait et fera, elle aide l’écrivain à écrire. Connaître les frontières de ses possibilités, celles de son talent… mais se reconnaître sans hésiter ces possibilités une fois identifiées et ce talent dans le for intérieur. Au dehors, ne rien laisser transpirer, on vous prendrait pour un orgueilleux, voire un vaniteux. Et aux yeux des imbéciles, qui sont légions, vous passeriez pour un rien-du-tout. Ne pas abuser de la modestie néanmoins (une de mes regrettables tendances), on vous prendrait encore pour un moins que rien.
Montrer : En principe, hormis soi-même, il n’y a rien à montrer. La chose pourra être directe (l’autoportrait est d’ordinaire insupportable car gonflé aux gaz toxiques de la vanité et de la dissimulation), ou indirecte, à travers une fiction par exemple : on y mettra de la ruse, voire de la finesse. Ce pourra être alors plus amusant. Cet opuscule ne consiste d’ailleurs qu’à me montrer. Je laisse le lecteur en palper le tissu de l’habit, l’acier de ma cuirasse, mais mon avis est que sous des mines sereines la (ma) violence s’y exprime assez clairement.
Mots (mes -) : Ils me viennent tout naturellement à la pointe de la plume. Plus exactement, au clavier, sous mes doigts. J’ai appris à me méfier d’eux, à les surveiller de près, qu’ils ne prennent pas toute la place, toutes les places… Il me faut émonder l’arbre à paroles. Il m’a semblé que, pour me venir aussi facilement, voire mécaniquement, ils ont à voir avec les apprentissages de l’enfance et de la première école. Parfois, ils sont les seuls mots justes et légitimes, alors je les laisse vivre leur vie.
Nom : J’ai rejeté mon nom patronymique (un nom d’origine picarde) au profit d’un pseudonyme, que j’ai rapproché de l’ost, l’armée en campagne, mais aussi de l’hostilité que m’inspira la société, au point d’être à peu de me changer en poseur de bombes, en terroriste bien avant le temps. De mon prénom unique et monosyllabique, j’ai fait la trinité Yves, Michel, Hubert, à mes oreilles bien plus satisfaisante. Mes parents, avec le seul Yves qu’ils m’avaient donné, et si respectable que fut le saint en question, s’étaient montrés pour le moins parcimonieux. Michel, surtout, me donna le plaisir de me croire un protecteur du peuple juif, et un archange des mieux placés dans la hiérarchie des Anges. Saint Pierre, lorsque j’arriverai, ne devrait pas me regarder d’un trop mauvais œil.
Nomade : Je ne l’ai jamais été, ou fort peu. La sédentarité m’a toujours convenu. Avec Cicéron, j’ai très vite compris que voyager n’est rien d’autre qu’un déplacement du problème, lequel demeure là et entier. Avec les agences de voyage, j’ai bien appris que le tourisme ne consistait qu’à aller voir ce que j’avais, chez moi, sous les yeux, et à rencontrer des gens dont je ne connaissais ni la langue ni les mœurs. À ne pas les rencontrer donc, ou très fugacement. J’ai compris encore que voyager n’a aujourd’hui plus aucun sens (1). Qu’on ne fait que du tourisme. Que l’on y sous-estime l’Autre, l’emplumé, l’autochtone, le figurant dans les paysages.
Notoriété : J’ai eu la mienne – durant une petite dizaine d’années – qui n’a rien comblé en moi d’essentiel ou de profond. Je ne l’ai pas méprisée pour autant. Des journalistes (du Figaro) se sont étonnés de ma discrétion voire de mon manque de goût pour la scène et les vanités. Ils avaient raison. Mais je n’ai pas non plus cherché l’effacement : on s’est seulement rendu compte, dans les milieux médiatiques, que je ne pensais que librement et avec ma tête en première instance. Qu’il m’arrivait donc de marcher hors des clous. Cela a fortement déplu. Un jeune journaliste du quotidien Libération, qui voulait rendre compte d’un de mes livres, s’est entendu répondre : « On ne parle pas de Michel Host ». C’était il y a de cela des années lumières. Aujourd’hui, la notoriété m’a gardé un sort bizarre : oublié du grand public, je reste présent dans la pensée de quelques écrivains et amateurs de littérature, mais aussi dans celle de jeunes écrivains auxquels il m’arrive de rendre de petits services littéraires. C’est reposant et suffisant. Lorsque le temps viendra, je veux seulement échapper à la chronique nécrologique du quotidien Le Monde, le plus hypocrite des organes de presse de ce temps !
Michel Host
(1) Je n’ai vu que les pays proches, ne demandant pas qu’on prenne l’avion pour s’y rendre. Mon seul manque, que je comblerai un jour ou l’autre, visiter Venise, Florence, Rome et Naples.
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