La Styx Croisières Cie (VII) Juillet 2019 (par Michel Host)
ÈRE VINCENT LAMBERT, AN I
Humain, citoyen le plus vulnérable, la République française, la médecine, la magistrature et la banque réunies, t’ayant baptisé Légume, te tueront.
« Au palais :
Mère Ubu : nous avons une grande reconnaissance au duc de Lituanie.
Père Ubu : Qui donc ?
Mère Ubu : Eh ! le capitaine Bordure.
Père Ubu : De grâce, Mère Ubu, ne me parle pas de ce bouffre. Maintenant que je n’ai plus besoin de lui, il peut bien se brosser le ventre. Il n’aura point son duché.
Mère Ubu : Tu as grand tort, Père Ubu, il va se tourner contre toi »
Alfred Jarry, Ubu Roi, Acte III, Sc. Ie
Jules de Montalenvers de Phrysac : noté dans le Livre de mes Mémoires
Lµ-1. Où Alfred Jarry nous introduit dans la tête et l’intimité des puissants. Combien leurs promesses sont légères, et lourde leur ingratitude. Combien aussi les dames, et jusqu’aux moins délicates, portent souvent les meilleurs conseils.
µ-2. Nous venons de changer d’ère et de civilisation. Peu s’en sont rendus conscients. Qu’on me permette de faire part à nos lecteurs, en ce mois de juillet 2019, de notre entrée dans L’AN I de l’ère Vincent Lambert, celle où l’être humain le plus vulnérable et sans défense, qualifié de « légume », est mis à mort par les institutions républicaines, médicales, judiciaires et financières, en plein accord avec l’amoralisme utilitariste régnant. C’est le fait majeur de notre temps.
µ-3. A messieurs les assassins d’épouses, d’amies, aux tueurs de jeunes filles, aux étrangleurs de femmes et de fillettes… Qui n’admire aujourd’hui vos exploits, la force de vos poings, le tranchant de vos couteaux, la solidité de vos cordelettes ? Vraiment vous nous comblez. Mettre à mort tant d’êtres présumés faibles et de peu de défense… Quel honneur ! Tant d’horreur ! Il y aura toujours des ennemis du progrès, vous savez, nous n’y pouvons rien ! Vous pulvérisez vos records chaque année. Depuis janvier, vous en aviez tué 73, et cinq rien que cette dernière semaine. C’est le stakhanovisme du crime, l’abattoir à ciel ouvert… La dernière : à coups de marteau ! Nous comprenons, celle-là avait sans doute la tête très dure… C’est le nouveau Chemin des dames. Si vous maintenez ces cadences infernales, vous mourrez de fatigue. Alors vous nous manquerez, vous et votre superbe lâcheté. Vos actes sont des féminicides, vous-mêmes êtes des féminicides. Voyez, grâce à vous on réintègre un ancien vocabulaire, on crée une « spécialité criminelle » ! N’est-ce pas d’un grand profit culturel ? Certains tiquent sur ce mot ; pas moi, il dit les choses. Comprenez-vous ce mot ? Permettez-moi d’en douter. Avez-vous un jour cessé de confondre femme et gibier à votre portée ? Mon grand-père et les hommes de son temps disaient : « On ne frappe pas une femme, même avec une fleur ». Avez-vous un seul jour regardé une fleur ? Permettez-moi d’en douter.
Lµ-4. La minute de la poésie
C’était il y a peu
sur la place de la République
vint – quoi d’anormal ? –
à notre rencontre
un marchand de républiques.
« Mesdames, messieurs – nous dit-il –
j’ai beaucoup voyagé et pour vous
à des prix sans concurrence
j’en ai rapporté plusieurs
dont sont indéniables les qualités
Choisissez :
deux républiques bananières
sans bananeraies
quatre républiques marchandes
où l’on vend et achète votre vie votre mort
une république réglementaire
comme aucune autre ne l’est
excepté une république kafkaïenne
l’une des plus chères malheureusement
sans Kafka évidemment
je vous recommande ma république punitive intégrale
mes républiques d’avant l’alphabet et la plume
sergent-major
A des prix plus abordables sont mes républiques
policières
judiciaires
financières
dirigées par les plus compétents des gangsters
soldées vous trouverez mes républiques
radicalisées
balkanisées
burkanisées
burkinisées
mes républiques de sous-les-ponts
du canal Saint-Martin
des centres de rétention
de la dissension et de la haine
Mille pardons
Je n’en ai pas trouvé de l’amour ».
A l’unisson nous lui répondîmes :
« Laissez, monsieur,
nous avons tout cela à Paris ».
µ-5. Vincent Lambert vient de mourir au CHU de Reims sous l’effet de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de son organisme qui n’était ni en état végétatif ni entré en agonie, dite fin de vie. Pour que le processus de mise à mort, disons-le crûment, d’assassinat programmé et médicalisé, ait eu lieu aussi rapidement, on doit imaginer qu’il fut stimulé par l’injection de produits à la fois analgésiques et létaux, une euthanasie déguisée en somme, illégale par conséquent selon les lois en vigueur. C’est pourquoi le corps du défunt sera autopsié dans une autre juridiction que celle de Reims. Ne doutons pas que le personnel médical qui avait pris en charge les soins nécessaires à Vincent et à sa dignité, y compris le docteur S., furent d’un dévouement admirable. Cependant, le fait que le même médecin, se fondant sur un juridisme administratif variable au cours du temps, ait pris la décision d’éliminer son patient de la surface de la terre, dépasse l’entendement humain. Selon moi, il a trahi son serment et sa mission, en même temps que l’humanité entière. J’ai pensé que la majorité de mes compatriotes, changés en consommateurs froids par le système qui les régente, en êtres décérébrés par une inculture généralisée, ne se souciaient pas du tout de cette question de la vie et de la mort, de la protection du plus vulnérable d’entre eux. J’ai eu tort, les réactions sont aujourd’hui nombreuses, vives et très controversées sur tous les lieux d’information. J’espère seulement qu’elles ne seront pas qu’un feu de paille.
Me Collard, clairement homme de droite, député européen depuis peu, déclare sur Radio-Courtoisie : « C’est un assassinat. Vincent Lambert est mis à mort parce qu’il coûte de l’argent, de ce “pognon de dingue” dont nous parlait le président ». Notre société matérialiste le fait donc disparaître du fait de cette dépense scandaleuse et sans profit. Sans “profit”, notre loi supérieure première ».
Durant ces trois dernières semaines, je n’ai ni lu ni entendu une seule parole (je puis me tromper, mais rien dans Le Monde !) de M. Robert Badinter, lui et lesdits progressistes qui le suivent, si prompts à veiller à ce que les pires criminels, eux, gardent leur tête sur leurs épaules et courent nos rues avant même la fin de leur peine. Quant aux évêques de France, leur silence collectif (sauf l’archevêque de Paris) dit leur extrême lâcheté et la momification définitive d’une Église entrée dans son obsolescence. Qu’y a-t-il encore à espérer d’une organisation religieuse sans plus l’ombre d’un esprit saint, et qui pour l’heure est occupée principalement à « gérer » les sombres affaires de pédophilie qui la minent de l’intérieur ?
Ce 11 juillet 2019
µ-6. Amusante affaire de Rugis, qui d’abord donne lieu à la plaisanterie populaire la meilleure de l’année : Homard m’a tuer !, rappel humoristique d’une sinistre affaire de meurtre d’il y a quelques années. En effet, M. de Rugis, petit marquis sans marques ni frontières, du temps qu’il était au perchoir de l’assemblée, logé en son splendide Hôtel de Lassay, donnait des repas somptueux à quantité de connaissances, d’amis, parmi lesquels devaient figurer deux ou trois comparses politiques. Il y eut au moins douze festins de ce genre, selon Mediapart, organe informatif défécatoire de notre société, parmi les productions duquel apparaît, comme cela est la norme, quelque pépite ou perle précieuse. Ici, au vu des images, la table servie en ces occasions était d’un luxe inouï : champagne sans doute, homards rangés par quatre ou cinq, et surtout vins fins et « classés » (dont un château d’Yquem et un bordeaux valant dans les 500 € la bouteille). Le tout aux frais des contribuables et des caves de l’État, ce qui a créé le scandale. M. de Rugis, qui sans doute s’est pris pour le Régent, a ouvert sa défense en prétendant donner des dîners « informels », puis des « dîners de travail »… L’ancien crime de « péculat », soit le vol des deniers publics, qui fait du petit cachottier le premier des péculateurs de l’ère macronienne. On en rit encore dans les ministères. Un enfant de dix ans aurait mieux présenté sa défense en ne soutenant pas qu’il n’était guère connaisseur en vins, que le champagne lui donnait des maux de tête, qu’il ne digérait pas les crustacés et détestait le caviar. Peut-être quelques vérités sont-elles noyées dans ce ramassis de mensonges issus d’un cerveau défaillant. On en rit jusque dans les chaumières de la France « périphérique » ! Le comble est l’entretien pleurnichard donné un matin au journaliste d’assauts mimés, M. Bourdin, sur une radio périphérique elle aussi. Le journaliste est bien ennuyé, il ne sait s’il doit attaquer le spoliateur de la nation ou le politicien plus ou moins ami : « Je n’ai aucune raison de démissionner ! On m’attaque de toutes parts, là est le scandale ! » déclare fièrement l’amateur de dîners de travail améliorés. Une dame entendue sur une autre radio : « J’ai soixante-cinq ans. Je ne sais pas quel goût a le homard ». Nous apprenons que M. de Rugis vient de démissionner, car se voyant dans l’impossibilité désormais d’assurer ses fonctions normalement. Quelles fonctions d’ailleurs ? On craint que ce ne soient que les naturelles. Tout de même, on mange.
µ-7. Nouvelle république. J’ai la faiblesse d’ouvrir la télévision lors des défilés du 14 juillet. Cette année, j’ai entendu le président de la république se faire huer et siffler lors de l’ouverture du défilé. J’ai vu, sur un trottoir des Champs-Élysées, une dizaine d’agents de la répression policière et politique se ruer sur M. Éric Drouet, ex-meneur des Gilets Jaunes, et être emmené manu militari vers quelque lieu de détention provisoire. Il a été relâché dans la soirée. Nul ne sait ce qu’on lui reprochait. N’a-t-il plus le droit de paraître en public ? Il semble que le préfet Castanerius ait la rancune tenace. Si ce ne sont pas là des mœurs courantes dans les républiques bananières, en Indonésie, au Venezuela… qu’on m’explique ce que c’est ! Les organes de presse aux ordres ne se sont pas étendus sur ce sujet. Premier mot de notre devise républicaine : LIBERTÉ. Rires dans les travées de l’assemblée.
Je me souviens, c’était il y a peu, lors d’une soirée sur un quai de Nantes, des jeunes gens s’amusaient, faisaient la fête… C’était d’ailleurs la Fête de la Musique. L’heure prescrite avait été dépassée. Plusieurs policiers se sont jetés sur eux à coups de pieds et de matraques. Ils les ont dispersés. Ils ont été 14 à tomber à l’eau : ce ne peut être le fait du hasard. L’un d’eux, qui ne savait certainement pas nager, est tombé dans la Loire, son corps n’a pas été retrouvé. Qui a donné l’ordre brutal ? Et pourquoi ? La plus grande discrétion est de mise sur cette affaire. Les organes dits d’information attendent les ordres. Le préfet Castanerius aujourd’hui si bavard n’a rien trouvé à dire ni à redire.
Ailleurs, je ne sais plus où, des manifestants paisibles, assis dans une rue, refusaient de s’en aller comme le leur ordonnaient les forces de l’ordre (?). Celles-ci, lassées d’attendre, munies de cartouches de gaz, passèrent devant les jeunes récalcitrants et les gazèrent comme on fait des moustiques et autres bestioles dans les espaces céréaliers des États-Unis. Certes, il y avait désobéissance aux ordres, mais sans la moindre violence ! LIBERTÉ ? LIBERTÉ ? OÙ ES-TU ?
Lµ-8. Bourgogne. Au jardin (lieu de brèves méditations littéraires et de conversations), à la nuit tombante, autour de la lampe, un moucheron solitaire volète sans fin. Il y en avait une ou deux centaines il y a seulement quatre ou cinq ans de cela. Je présume que les grands céréaliers du lieu épuisent leurs réserves de glyphosate et de Roundup, avant de mourir eux-mêmes de cancers et autres pourrissements organiques. Ils préfèrent sans doute cela à perdre de leur or durant une éventuelle période de transition écologique. Résultat domestique : au matin, plus un oiseau ne paraît ni ne chante (seules les colombes de Turquie font de la résistance) ainsi que les dix derniers couples d’hirondelles revenus au village. Le silence de midi, je le suppose dû à la trop grande chaleur. Sur la fin de l’après-midi, silence de mort, et aussi dans l’avant-crépuscule. Plus de pics travaillant le bois des pruniers, plus de grimpereaux ni même de mésanges charbonnières. Par ailleurs, des citadins s’offrant des vacances dans nos campagnes, intentent des procès aux « locaux » parce que leur coq salue le jour, et que les grenouilles coassent dans la mare, que le cheval frappe du sabot contre le mur de l’écurie, que le clocher de l’église sonne parfois encore… Un autre monde remplace celui qui finit : le nouveau monde du silence de mort. Tristesse profonde, mais peut-être pas sans remède. Les oiseaux reviendront sans doute, du moins je l’espère. Ai-je encore des désirs de campagne ?
µ-9. Vendredi 12 juillet (Le M). Michel Houellebecq y est allé fort bien, à propos de l’assassinat de Vincent Lambert par la justice, la médecine, l’État et l’indifférence conjugués, d’un article fort clair dont je cite des passages : « Ainsi, l’État français a réussi à faire ce à quoi s’acharnait, depuis des années, la plus grande partie de sa famille : tuer Vincent Lambert ». On y lit encore : « [En tant qu’infirmier] il [Vincent L.] aurait dû savoir mieux que tout autre, que l’hôpital public avait autre chose à foutre que de maintenir en vie des handicapés (aimablement requalifiés de “légumes”). Il vivait dans un état mental particulier, dont le plus honnête serait de dire qu’on ne connaît à peu près rien ». Quant à la question de la « dignité », elle lui inspire ceci : « Quoi qu’il en soit, il paraît évident […] que la dignité (le respect qu’on vous doit), si elle peut être altérée par divers actes moralement répréhensibles, ne peut en aucun cas l’être par une dégradation, aussi catastrophique soit-elle, de son état de santé. Ou alors c’est qu’il y a eu, effectivement, une “évolution des mentalités”. Je ne pense pas qu’il y ait lieu de s’en réjouir ».
Michel Houellebecq s’exprime ici dans un style mesuré, voire un brin académique, et il a grandement raison. On le comprendra. Il va à l’essentiel, à la société et à sa regrettable évolution. Cependant, si je devais lui faire un reproche, ce serait celui de ne pas viser le cœur de la question, ceci : un homme, une femme désarmés, les plus vulnérables des êtres, ne sont-ils que rien ? Ou alors des déchets à envoyer à la destruction des déchets ? Sont-ils des légumes avariés qu’il faut jeter au composteur ? De tels cauchemars qu’il faille les effacer des mémoires, leur refuser les soins jusqu’à ce qu’ils en meurent ? Ne peut-on être aimé et compris pour le handicapé qu’on est devenu ? Qu’est-ce qu’une personne humaine, surtout si elle est totalement vulnérable, diminuée, à merci ? Quelle est sa valeur humaine ? Qu’est-ce que cette société dans laquelle nous survivons ? Dans ma pensée, elle est hideuse.
C’est vrai, nous ne sommes que de misérables animalcules dans l’infini du cosmos et du temps : raison de plus pour nous dresser aussi haut que nous le pouvons.
µ-10. Toto Rina jugé par Al Capone et les 40 voleurs. L’affaire F. de Rugis est une misérable escroquerie commise par un membre du gouvernement. Un pipi de chat dans l’océan des iniquités, quoiqu’il s’agisse de l’argent public. Les chambres, l’exécutif viennent d’étendre leur pardon sur la tête du ridicule petit marquis. Partout, ce pauvre linge sale clame qu’il a été « blanchi » ! Rien que des frais légitimes dans sa résidence luxueuse ! Il espère sa réintégration dans les hautes sphères, comme on dit. Reste à décider de la dépense causée par trois de ses repas somptuaires clairement donnés en privé à ses amis : selon les « experts » du petit banditisme d’État, elle s’élèverait à 2000 €. Risible ! Le bougre annonce fièrement qu’il rendra cette aumône au pays, à la France, au Trésor public, à Dieu si on l’exige… Tout cela marche à un train d’enfer sous les yeux et les oreilles des Français en train de griller sous la canicule. Bravo messieurs ! Oui, anachronisme mis à part, c’est bien le petit mafieux pardonné par ses pairs, les troupes d’Ali Macron.
Lµ-11. De mon intérêt pour ces brèves chroniques. Comment savoir pourquoi je les écris ? Bien d’autres font mieux que moi dans le genre. Plus aigus, plus complets, plus spécialisés… Peut-être mon intérêt pour les faits gravissimes comme pour les plus futiles y est-il pour quelque chose. Mon impression d’ensemble est celle d’un portrait par cabrioles et intermittences du temps que je vis, d’un témoignage parmi d’autres, et surtout comme d’une de ces lanternes magiques dont s’amusaient autrefois adultes et enfants, regardant courir de petits personnages à travers des fenêtres minuscules. Un jeu. Mais des fureurs parfois. Vanité des mots. Leur impuissance.
µ-12. Émission « Répliques », d’Alain Finkielkraut. Sujet, à ce qu’il m’a semblé : la tolérance et l’intolérable. Invités : Mme Claude Habib, M. Pierre Manent. Ces penseurs débattent librement et brillamment des fondements de la tolérance contemporaine, relativisation du bien comme du mal, après les grands massacres interchrétiens, les réflexions de Montaigne, Locke, Voltaire, Diderot, auxquelles je joindrais volontiers celles de Marc Aurèle… Toutes ces questions qui ne me laissent pas en paix depuis des années ! Au centre, cette interrogation : est-il une conversation possible entre moi et celui qui veut me tuer parce que je ne suis pas lui ni son clone mental, parce que mon avis diffère du sien, sans pourtant que je tienne absolument à renverser le sien par le mien ? Il persiste à me maudire, à me déclarer digne de son couteau, résidant sur les terres du blasphème et du sacrilège. Nous ne pouvons plus converser. Il n’est plus un humain, mais un monstre sans parole. Il devient à mes yeux le Nuisible absolu (corrélé à lui-même uniquement), ou si l’on veut, le Nuisible total, le porteur de mort et rien que de la mort. Dans ce cas, alors que me répugne la peine de mort, je ne pense pas illégitime qu’on le pende haut et court, qu’on le fusille, le guillotine ou le fasse disparaître par les moyens les plus expéditifs. C’est ainsi lorsqu’à l’argument est opposé le seul couteau.
Lexique de l’écrivain, IV
Cinéma (le -) :
Je suis un bavard flamand, pas un grand architecte. Federico Fellini m’a aidé à « construire ». Oh, pas des palais ! Des bicoques, des baraques de guingois, des châteaux de carton… Sa fureur est féconde. Yahvé, ses prophètes et conteurs m’ont parfois soutenu de la même manière. Vouloir dire le réel est une vaste foutaise. Le cinéma fait mieux illusion. Tout cela n’empêche pas que la scène littéraire de notre temps, avec son commerce, ses « entrées », ses chiffres de vente soit un bizarre cinéma.
Commencements / Commencer :
Pour Samuel Beckett, on le sait, il est infiniment difficile de commencer. Mais « continuer », « poursuivre », « achever »… c’est pire encore. Alors j’ai décidé de l’indispensable désir pour « me lancer », pour entreprendre la page blanche comme on entreprend une inconnue au coin d’une rue, au coin d’une table ou d’un lit, et alors viendra, s’il doit venir, le plaisir. Non moins indispensable. Je ne crois pas aux écrits de la douleur.
Comparer et se comparer :
Tâche inutile, improductive ou même néfaste. D’ordinaire, stérilisante. Ne pas s’y complaire si l’on veut faire quelques pas en avant.
Confiance :
Cela existe-t-il dans le milieu littéraire ? Entre écrivains, rarement, peut-être… On n’est jamais sûr de vivre en confiance, y compris auprès… surtout auprès des plus amicaux, des plus sympathiques. Soit on veut de toi quelque service que ta faiblesse laisse supposer que tu rendras, soit on te surveille, soit on te jalouse… Plus souvent que tu ne penses, on te hait tout en te gardant le sourire, pour des raisons inconnues de toi, ou que tu devines parfaitement. Je me sens très mal dans ce marigot des faux-semblants. Suis-je moi-même digne de confiance ? Il m’arrive de haïr, pour des raisons dont je n’ai jamais honte, je hais alors sans limites, sans toutefois aller à la calomnie, forfaiture et manière d’assassinat, et à l’assassinat pur et simple. Jalouser, surveiller ? Je n’en ai ni le goût ni le temps. Il m’est arrivé d’énoncer l’une ou l’autre critique personnelle et verbalement. J’ai toujours regretté cet instant de faiblesse, et plus encore si la flèche frappait dans le mille.
Confrères :
Je ne les lis que rarement parce qu’ils écrivent fort mal pour la plupart d’entre eux, et que pour la part restante, ils n’ont rien de neuf à nous dire. Lorsqu’ils écrivent la tête remplie d’une quelconque idéologie, de la nécessité de démontrer quoi que ce soit, ils deviennent insupportables. Décrire et montrer, n’est-ce pas assez difficile ? Ils n’ont rien appris de personne, et surtout pas des classiques, car ils ne voudraient pas paraître ringards. Ils sont donc bien misérables. Je n’ai aucun mal à ne pas les jalouser, et ne cherche pas à les surveiller. Envie et espionnage ne sont pas dans ma nature. On perd assez de temps comme ça !
Critique (la -) :
Ouvrons le propos par une citation : « Derrière la troupe des commentateurs, l’herbe repousse », Werner Lambersy.
Quelques mots de la critique littéraire. Sujet enfiévré. Elle m’a lu, un temps, puis m’a ignoré, puis abandonné. Un abandon que j’ai bientôt jugé proche du mépris, voire de la haine. L’indifférence, au fond. J’avais tort : la cause est le faux intérêt porté aux œuvres et les idéologies qui versent leurs poisons dans les yeux et les oreilles. Je ne suis pas le seul à avoir effectué ce parcours. Dans l’objectivité des faits : j’ai souffert de cette situation, puis l’ai ignorée à mon tour (faisant notamment des pages critiques de la grande presse les fonds de litière de mes chats), et enfin, après avoir renvoyé son mépris à la critique par le biais de quelques articles publiés en revues, je me suis fait une médaille, une fierté de ce qui m’était imposé et m’indifférait. J’ai aussi, c’était plus fort que moi, négligé cette hypocrisie qui consiste à remercier pour une critique ou une lecture, fût-elle favorable, qui me démontrait que celui qui m’avait lu n’avait rien compris ou fort peu à ce que j’avais écrit. J’ai fini par comprendre que cette critique littéraire se rassemble par groupes de pensée, par tendances de mœurs sexuelles, par bandes copineuses et complices, que l’incuriosité est son moindre défaut et que l’arrivisme l’anime entièrement. Ma naïveté dans ces questions a tant duré qu’elle m’étonne aujourd’hui. Ne rien attendre est le mieux.
Je me suis donc naturellement demandé si, quoique peu enclin à penser dans les clous, j’étais allé jusqu’à prôner de manière inconsciente quelque thèse insoutenable ou si j’avais eu grand tort de placer la tragédie juive dans quelques-uns de mes livres. Mais rien de tout cela, à mon jugement ! J’ai aussi pensé que de ne pas écrire la même chose dans chaque livre, ni à chaque fois le même livre, est une faute mortelle : le chroniqueur en est empêché dans sa digestion et gêné dans sa routinière somnolence. Il ne peut situer l’écrivain une fois pour toutes, l’épingler dans sa boîte à papillons. Je n’en veux à aucun, à aucune, on ne peut en vouloir à l’infirme pour son infirmité. L’une, cependant, fait exception : cette Mme Jo, qui plusieurs années de suite empuantit les pages critiques d’un grand quotidien parisien et se fit haïr de la plupart des écrivains de son temps ; si je l’avais vue se noyer dans le canal de l’Ourcq, j’eusse posé mon pied sur sa tête d’animal nuisible. La faire disparaître eût été un titre de gloire. Elle condamne le romancier avec l’autorité d’une chanoinesse, mais sans l’avoir lu, car n’apportant pas l’ombre d’un argument à l’appui de ses affirmations destructrices. Je n’ai pas « digéré » l’affront quoique je sache que les œuvres se défendent elles-mêmes. Le bruit court qu’elle souffrirait aujourd’hui de varices invalidantes, qu’un lifting annuel ne lui suffirait plus et que son style se serait si peu amélioré qu’on ne la publie plus. En son temps, Monsieur Jean-Edern Hallier eut une vision malheureuse de l’entre-jambe de cette dame, et c’est bien là, en effet, tout ce qu’il y avait à voir. Je n’ai pas ce flair de chien courant : Edern-Hallier était l’ennemi de tout le monde. Pas moi. Je reproche à dame S. de ne pas lire et de dire sans avoir lu. Elle m’aura au moins permis de savoir que, dans le fond, je ne suis pas entièrement bon.
S’il n’était aussi stupide, je consacrerais quelques lignes à M. Pierre Assouline. Mais pourquoi tremper sa plume dans la soupe des caniveaux ?
Fermons le propos par un autre, définitif : « Cette critique ressemble à un doigt posé sur une corde : elle tue la vibration », Witold Gombrowicz.
Michel Host
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