La Commune 1871, Emile Zola, par Vincent Robin
La Commune 1871, Emile Zola, Nouveau Monde Editions, juillet 2018, 312 pages, 9 €
« De février 1871 à août 1872, il produit des chroniques parlementaires sous le titre de La République en marche, publiées dans La Cloche et le Sémaphore de Marseille. Elles lui permettent à la fois de se faire connaître du monde politique et d’y fonder de solides amitiés (et inimitiés) » (Wikipédia).Tout comme le confirme la très omnisciente bibliothèque du net – non sans démystifier au passage quelque pseudo originalité présente –, à trente et un an et à la charnière du dernier quart du XIXe siècle français, le jeune Emile Zola endossait la fonction de journaliste politique. Sans analyse contextuelle préalable très poussée, et probablement pour garantir à la fois les effets d’une immersion subite dans l’époque et dans les options singulières du rapporteur, le présent ouvrage déroule alors le tissu raccordé des articles de presse que l’écrivain adressa durant ce temps aux deux périodiques mentionnés plus haut. Au rythme d’un agenda consciencieusement suivi, les correspondances du pigiste reflètent ici, par enchaînement serré, les plus cruciaux moments dont il fut témoin ou interprète à travers les soudaines et turbulentes évolutions politiques du pays. Ces instants marquants auront été, essentiellement, les évènements rudes et dramatiques survenus dans et autour de Paris lors de la « Commune » (18 mars/3 juin 1871).
Le cadre de ce temps (celui du printemps de 1871) est celui d’une France coupée en deux. Depuis septembre précédent, la Prusse et le chancelier Bismarck ont violé ses frontières. Suite à la chute de Napoléon III à Sedan (celui-là même qui leur avait déclaré la guerre), ils exercent une pression pernicieuse sur le pays afin de le rançonner (5 milliards de francs d’époque) en lui proposant aussi une capitulation préventive de totale occupation militaire. Seul Paris résiste, à la fois militairement et au chantage. La France provinciale et ses députés désavouent la capitale assiégée mais résistante. Ce nouveau parti de la collaboration, en lequel se mêlent royalistes nostalgiques et bourgeois parfois autoproclamés républicains, se réunit à Versailles, prêt à répondre aux exigences-punitions exorbitantes de l’ennemi. Il est conduit par un président d’Assemblée nouvelle dénommé Thiers et auquel Zola livrera ses espoirs, et, il faut bien le dire aussi, ses compliments douteux. Au 18 mars et contre les Versaillais, Paris s’insurge, se fédère, se défend. La ville connaît le siège, la famine et l’opposition virulente de ses présomptifs « frères » républicains, mais se radicalise. Les souvenirs de « 93 », ceux de 1848 et des victoires du peuple sur les tyrannies dont il resta si longtemps la victime ressurgissent …
Emile Zola et ces deux facettes. Du bougon-moqueur au rugueux-macabre : 1/ « Ah ! comme l’extrême droite serait drôle si l’extrême gauche, la gauche de l’Hôtel de ville, nous permettait d’en rire » (p.74). 2/ « Quatre gardes nationaux, à la chasse aux réfractaires auraient fusillé chez lui, dans sa chambre, un pauvre diable qui refusait absolument de marcher. Voilà des gredins, qui, je l’espère, vont être passés par les armes » (p.170) …
Le doute n’est pas permis. Les talents de plume de l’écrivain et journaliste que détenait le jeune Emile Zola lors du très scabreux avènement de la IIIe République française, y compris en délivrant ses notes prises sur le vif, le protègent honnêtement de la critique stylistique. Mais, pour le fond et la pensée (peut-être là où le « b.a.-ba » blesse), le Zola s’exerçant bientôt dans des rapports écrits enflammés sur la guerre civile détenait-il alors un aussi éminent savoir-faire ? « Que diable allait-il faire dans cette galère ? » se serait probablement inquiété au travers des évènements décrits le vieux Géronte, s’adressant bientôt au malicieux Scapin du célèbre Molière. La fibre sociale d’un fils d’immigré déjà ? Un engouement politique et philosophique totalement chevillé au corps ? Le besoin accru, urgent sûrement, et même impératif d’une ressource de plume – quitte alors à quelques audacieuses concessions de légitimité morale faites à la cause monarchique et bourgeoise ? Sûrement une part de tous ces critères réunis, mise en évidence ici à travers une trame spéciale, dépassant nettement une assez ordinaire fiction romanesque : la douloureuse et sanglante « Commune de Paris ».
Surprise alors, dans le discours lâché et enflammé du père très digne des beaux Rougon-Macquart : les « je n’excuse pas », non point latents, surtout même plutôt catégoriques et soupçonneusement inféodés, parfois appels aux meurtres, auraient-ils devancé de trente ans quelque tonitruant « j’accuse», à l’opposé, si formidablement courageux et retentissant, clairvoyant et humaniste, peut-être aussi modèle de la libre expression insoumise ?
Selon Zola, dans Versailles et Thiers, il y avait tout à espérer… Les autres, les gueux, Parisiens sales et hallucinés, où les fédérés ivrognes rivalisaient avec (femmes comprises) les fous dangereux et assassins révolutionnaires invétérés auraient dû être très vite éradiqués ou exterminés. Hugo aussi, quel poète bien mal avisé : « Bon Dieu ! que de bêtises fait commettre l’orgueil, le désir chronique d’étonner l’univers, la volonté arrêtée de penser autrement que les autres […] Je connais bien les raisons de son amour pour les galériens : il se prouve sa divinité en daignant descendre dans les cloaques de cette terre » (p.297). Et puis alors, ces offenses inqualifiables : renversement de la colonne Vendôme (hommage à Napoléon), destruction pierre par pierre du si bel hôtel particulier de M. Adolphe Thiers. Un sacrilège en somme, peu importe les tués sous la mitraille du mois mai. Extrait de la page 272 : « Non, jamais je n’oublierai l’affreux serrement de cœur que j’ai éprouvé en face de cet amas de chair humaine sanglant, jeté au hasard sur le chemin de halage. Les têtes et les membres sont mêlés dans d’horribles dislocations. Du tas émergent des faces convulsées, absolument grotesques, ricanant par leur bouche noire et ouverte. Les pieds traînent, il y a des morts qui semblent coupés en deux, tandis que d’autres paraissent avoir quatre jambes et quatre bras. Ô le lugubre charnier, et quelle leçon pour les peuples vantards et chercheurs de batailles ! J’ai pu constater, comme je l’espérais, que la Sainte-Chapelle était intacte… » (p.272) : Ouf ! … L’essentiel paraît sauvé, quant aux autres… bien fait pour eux !
Zola eut-il jamais conscience des monstruosités écrites par lui à cette époque ? C’est fou ce que de beaux écrivains, bientôt réputés humanistes, peuvent réserver de surprises lorsqu’ils se « libèrent » par violente haine et victorieuse passion. Ce document est à lire absolument afin d’apercevoir, peut-être, jusqu’où et sous le prétexte de la morale protégée, la manipulation bourgeoise et réactionnaire peut quelquefois débrider l’écriture et dévoiler la vilaine part d’ombre de quelque racheté.
L’Emile je t’aimais bien, je t’aimais bien tu sais…
Vincent Robin
Émile Zola est un écrivainet journaliste français, né le 2 avril 1840 à Paris, où il est mort le 29 septembre 1902. Considéré comme le chef de file du naturalisme, c’est l’un des romanciers français les plus populaires, les plus publiés, traduits et commentés au monde. Ses romans ont connu de très nombreuses adaptations au cinéma et à la télévision. Sa vie et son œuvre ont fait l’objet de nombreuses études historiques. Sur le plan littéraire, il est principalement connu pour Les Rougon-Macquart, fresque romanesque en vingt volumes dépeignant la société française sous le Second Empire et qui met en scène la trajectoire de la famille des Rougon-Macquart, à travers ses différentes générations et dont chacun des représentants d’une époque et d’une génération particulière fait l’objet d’un roman. Les dernières années de sa vie sont marquées par son engagement dans l’affaire Dreyfus avec la publication en janvier 1898, dans le quotidien L’Aurore, de l’article intitulé « J’accuse…! » qui lui a valu un procès pour diffamation et un exil à Londres la même année.
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